Turquie : Résistanbul. Message d’une occupante du Gezi Park




Il a suffi d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Encore une fois le peuple montre son exaspération face à un régime qui asphyxie la vie démocratique, et qui n’a que faire de la volonté populaire.

Le gouvernement turc a décidé de construire un centre commercial à la place du Gezi Park situé au centre de la ville, à Taksim, une place symbolique. Le 27 mai 2013, la résistance d’une dizaine de personnes pour garder Gezi Park a allumé le foyer d’une mobilisation collective pour les droits et les libertés de chacun. En un clin d’œil, la résistance s’est répandue de Taksim à Istanbul, puis d’Istanbul au reste du pays. La lutte pour Gezi Park est devenue le moyen d’exprimer toute la rage contre l’ordre socio-économique concrétisé dans la privatisation et l’embourgeoisement de l’espace public urbain.

Depuis 10 ans, le gouvernement islamo-conservateur (AKP) travaille à libéraliser l’économie et à remodeler la vie quotidienne du peuple selon son idéologie conservatrice, menant des plans massifs de gentrification urbaine et de privatisation de la production, de la santé et de l’éducation. Le premier ministre Tayyip Erdogan voulait écraser l’héritage moderne et laïc du peuple. Gezi Park a déclenché une émeute. Le peuple, et surtout les jeunes né-e-s dans les années 1990, qui souhaitent choisir leur propre destin, se sont révolté-e-s. On a vu la population venir en marchant vers le parc par le pont du Bosphore, on a vu des barricades dans les rues, on a vu les gens résister sans peur sous les nuages de gaz lacrymogène ; on a vu des commerçants offrir de la nourriture, des habitants et des habitantes ouvrir leurs portes aux blessés, des docteurs volontaires prendre le risque d’être arrêtés, des mères venir résister avec leurs enfants, et des grand-mères se mettre à leurs fenêtres en cognant leurs casseroles toute la nuit en signe de résistance. La police a mené une véritable guerre contre le peuple. Les policiers ont épuisé leurs stocks de gaz et ont utilisé des canons à eau et des balles en caoutchouc. Il y a eu à ce jour quatre morts et des centaines de blessé-e-s, onze personnes ont perdus leurs yeux. Mais ils n’ont pas pu briser la résistance.

Le Peuple se réapproprie l’espace public

Depuis le premier jour, les activistes ont utilisé la non-violence active. Ils ont même gardé le bureau de la police et celui de l’AKP pour empêcher les violences. Le peuple n’a utilisé que la force de l’imagination, la solidarité, la créativité, la détermination et la confiance mutuelle. L’iconographie, le langage, les chansons de l’opposition politique ont totalement changé. La rue Istiklal est couverte de slogans nouveaux et ironiques. Durant 18 jours, le parc est devenu un lieu de vie commune avec ses tentes, son jardin écologique, sa télévision, sa radio, sa scène, sa bibliothèque, son journal, son hôpital, sa cuisine. Mais le 15 juin, alors qu’il y avait des centaines d’occupants, y compris des bébés, la police a attaqué et tout détruit. Cette attaque a enclenché une guerre de rue durant deux jours.

Depuis, Gezi Park est désert, la place est entourée par la police, mais rien ne sera plus pareil. Parce que le peuple a vu ce dont il est capable. Il a pris goût à la résistance collective. Une mémoire collective circule désormais dans les veines d’une nouvelle génération. Nous sommes parfaitement capables d’allumer de nouvelles étincelles et de nouvelles résistances. Aujourd’hui, à Istanbul, il y a plus de 40 Gezi Park. Chaque soir, dans plusieurs quartiers, s’organisent des forums pour discuter et prendre des décisions sur notre avenir. C’est seulement le début de l’invention d’une nouvelle vie, la lutte continue.

Ezgi Bakçay (militante turque ayant participé à l’occupation du parc Gezi)

 
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