Entretien

Houzan Mahmoud (féministe irakienne) : « Nous refusons la loi des islamistes »




Dans notre numéro de janvier, nous avions publié l’interview d’Amjad Al-Jawhary, de l’Union des chômeurs d’Irak. Voici la deuxième partie de notre rencontre avec les représentants des mouvements sociaux irakiens, avec l’interview d’Houzan Mahmoud, représentante en Angleterre de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak.


Alternative libertaire : Bonjour Houzan. Peux-tu te présenter et présenter ton organisation ?

Houzan Mahmoud : Je m’appelle Houzan Mahmoud, membre de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak. Cette organisation a été créée en juin 2003, trois mois après le début de l’occupation de l’Irak par les troupes américaines. Un de nos principaux objectifs est d’avoir une constitution populaire en Irak, qui garantisse l’égalité entre hommes et femmes. Nous luttons pour la libertés des femmes, à tous les niveaux : liberté de s’habiller, droit pour les femmes d’occuper tous les postes, à tous les échelons politiques ou économiques.

Quelle est la situation actuelle des femmes en Irak ?

Houzan Mahmoud : Avec le début de l’occupation, les femmes irakiennes ont perdu tous leurs droits : porter les vêtements qu’elles veulent, sortir comme elles veulent, aller à l’université, travailler. Une première raison est l’explosion du chômage suite à l’occupation. Une seconde raison est la montée en Irak de l’islam politique qui veut imposer ses règles, en particulier empêcher les femmes de travailler et d’étudier. Dans les lycées et les universités, les islamistes s’en prennent aux filles non voilées. Ils essayent de tuer ceux et celles qui ne les écoutent pas. Des femmes sont assassinées.
Ils ont lancé une fatwa, à Falloudjah et Mossoul, stipulant que toutes les femmes, même les chrétiennes, doivent être voilées. Nous devons lutter contre l’islam politique.

Quelles sont les actions et campagnes de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak ?

Houzan Mahmoud : Nous menons depuis septembre une campagne contre le voile imposé aux filles par les islamistes. Cette campagne a reçu un très bon accueil et le soutien de nombreuses organisations. Beaucoup d’étudiantes ne peuvent plus aller à l’université parce qu’elles refusent le voile. Ce que nous voulons, ce n’est pas que les filles arrêtent d’aller à l’école ! C’est qu’elles y aillent sans voile. Nous refusons la loi des islamistes et nous essayons de les stopper. Mais la situation est difficile. Sortir sans voile est dangereux.

Nous menons également campagne pour le droit des femmes au travail, et pour les impliquer dans les syndicats. Par exemple, nous soutenons les employées de banques qui ont eu des problèmes avec leurs employeurs en Irak. Quand le dinar irakien a été remplacé par de nouveaux billets, des travailleuses ont été accusées de voler de l’argent. Notre organisation a obtenu leur libération car elles avaient été jetées en prison. Nous les avons aidées à se réunir pour se défendre.

Nous participons aux forums « civiques » politiques, dans les usines, dans les écoles et dans les quartiers. Nous parlons aux femmes de leurs droits et nous les encourageons à les défendre. Nous avons organisé plusieurs manifestations en Irak. La première était contre les viols et les enlèvements, en août 2003. Nous l’avons organisée à un moment où les femmes ne pouvaient pas sortir du tout à cause de l’insécurité. Il n’y a personne pour protéger les gens, et la nouvelle police irakienne est un échec complet. Quant aux forces de la coalition, elles se moquent complètement du sort des femmes en Irak.

Dans ces conditions, il y a un nombre important d’enlèvements, de viols et de meurtres de femmes. Il y a eu beaucoup de monde à cette manifestation, et son succès a permis de montrer au monde entier ce qui est en train de se passer en Irak. Beaucoup de médias internationaux ont couvert cette manifestation.

Une autre manifestation importante que nous avons organisée a eu lieu le 8 mars, contre la nouvelle constitution. Ce projet de constitution touchait directement les femmes, en particulier la résolution 137 du conseil de gouvernement, qui visait à instaurer la charia. Nous avons mené une campagne résolue et nous avons obtenu le retrait de cette résolution.

A ce sujet, vous savez que le 8 mars est la Journée internationale des femmes. Le conseil de gouvernement a voulu changer la journée des femmes en Irak et la mettre le 18 août. Pourquoi ? Parce que c’est le jour anniversaire d’une fille de Mahomet ! Ils ont voulu imposer une référence islamique. Nous nous sommes bien sûr opposées à ça. Que le gouvernement garde sa journée islamique des femmes pour lui : le 8 mars continuera à être notre journée.
Ce que les femmes irakiennes veulent actuellement, c’est l’égalité et la laïcité. C’est de ça que la société irakienne a besoin pour le moment.

Pourrais-tu nous parler des foyers de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak ?

Houzan Mahmoud : Depuis l’occupation, il y a un mouvement de réaction, de retour en arrière. Les « crimes d’honneur » sont encouragés et augmentent de manière dramatique.

Notre organisation a ressenti le besoin immédiat d’ouvrir des refuges pour protéger les femmes contre les meurtres d’honneur et plus généralement contre tous les types de violences dont elles sont de plus en plus victimes. Pour le moment, nous avons deux refuges, un à Bagdad et un à Kirkouk. Nous avons déjà empêché ainsi certaines d’être assassinées.

A Bagdad, nous disposons d’une grosse maison dans laquelle nous pouvons accueillir 7 femmes. Nous faisons un travail social : le but n’est pas seulement de garder les femmes hors de danger, mais de trouver des solutions aux problèmes.

Lorsque des femmes viennent vers nous, elles sont prises en charge par des militantes formées pour les assister, les aider à trouver un travail, ou établir une médiation si elles ont un problème avec leur famille. En cas de rejet par les familles, nous discutons pour comprendre pourquoi, convaincre les familles qu’elles ont tort, réconcilier, et faire changer l’attitude des familles.

Mais pour certaines femmes, c’est trop dangereux de les laisser partir. Dans ces cas-là, nous les gardons au refuge. Par exemple, nous avons une fille qui a été violée par un soldat américain. Elle-même était militaire... Sa famille a essayé de la tuer quand a découvert le viol. Elle est au refuge depuis l’an dernier. La seule solution serait de la faire partir à l’étranger.

Quels sont vos moyens pour faire fonctionner ces refuges ?

Houzan Mahmoud : Nous sommes une organisation de gens du peuple. Nous ne pouvons survivre que grâce aux dons qui nous viennent de l’étranger.
Nous avons des représentantes à l’étranger, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada, en Australie, dans les pays européens. Dans tous ces pays, le travail de ces représentantes est d’obtenir le soutien des organisations de femmes, des syndicats ou des organisations de défense des droits de l’Homme. Nous essayons de convaincre ces organisations de lever des fonds pour nous.

Par exemple aux États-Unis, des femmes ont créé un groupe de solidarité avec l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak. Elles ont invité aux Etats-Unis Yanar Mohammed, qui est la leader de notre organisation, pour parler à des milliers de femmes. Elle a pu ainsi récolter de l’argent. C’est le type d’initiative dont nous avons besoin.

En Angleterre, nous faisons beaucoup de réunions publiques. Nous avons pris contact avec les organisations de femmes, les organisations de défense des droits de l’Homme. Cela élargit notre réseau de contact et nous permet des récolter des fonds auprès des individus et des organisations.

Tu as évoqué Yanar Mohammed. Il y a une fatwa contre elle...

Houzan Mahmoud : Oui. Suite à notre campagne contre la résolution 137 et notre campagne contre le voile, elle a reçu des messages la menaçant : « si tu n’arrêtes pas, on te tue. On va faire sauter les locaux de ton organisation à Bagdad. » Et ils ont les moyens de le faire, on le sait.

Mais Yanar ne baisse pas les bras. Sa notoriété est sa meilleure protection. La semaine dernière, nous avons organisé une manifestation à Bagdad pour dénoncer l’attaque américaine contre Falloujah ainsi que les crimes des islamistes à Falloujah. Nous condamnons les deux camps.

À Falloujah, les islamistes ont lancé une fatwa stipulant que toutes les familles qui ont des filles de plus de 10 ans doivent les marier aux combattants moudjahidin. Ils obligent à porter le voile. Beaucoup de familles ont quitté la ville à cause des islamistes. Ils ne veulent pas que leurs filles soient violées, enfermées ou voilées. Les Américains et les islamistes politiques sont partenaires à Falloujah dans leurs crimes contre les femmes et contre le peuple.

Quelle est la situation alimentaire en Irak ?

Houzan Mahmoud : Il y a des problèmes d’approvisionnement. Même pendant la guerre contre l’Iran, nous n’avions pas connu une telle situation. A l’époque, on pouvait commercer et importer la nourriture grâce au pétrole. Mais depuis 1991, on n’a plus rien. Très peu de choses entraient dans le pays.

Maintenant, il y a par exemple beaucoup de sans-logis. Il y a un problème énorme avec la nourriture, l’eau potable et l’électricité.
Il faut tenir compte aussi du fait que beaucoup de gens n’ont plus d’emploi. Il n’y a aucune aide ni aucun service social. Le gouvernement et l’administration sont complètement corrompus. Même si de l’aide humanitaire arrivait, ils ne la distribueraient pas : ils la voleraient !

À l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak, nous essayons d’aider les familles sans logement, en particulier dans les camps. Nous sommes en contact avec les organisations humanitaires basées à Bagdad pour trouver un soutien aux familles pour le logement, la nourriture et les soins. Nous essayons en particulier de vacciner les femmes et les enfants. Actuellement, à cause du manque d’eau potable, etc., on voit beaucoup de maladies qui n’existaient pas en Irak avant.

Compte-tenu de la situation que tu décris, n’y a-t-il pas le risque qu’une partie de la population regrette Saddam Hussein ?

Houzan Mahmoud : Oui, certaines personnes sont de cet avis. Mais ça n’a aucun sens de comparer le mal et le pire ! Saddam était un dictateur : il tuait, il arrêtait. Mais les femmes bénéficiaient de quelques droits élémentaires. Nous n’avions pas à nous cacher ou nous couvrir, nous allions à l’université, nous travaillions. Il y avait des femmes enseignantes, docteures, avocates, juges, etc. Mais maintenant, on nous empêche de devenir par exemple juge, parce que selon l’islam, les femmes n’ont qu’une demie conscience, ne sont que des moitiés d’humains !

Saddam utilisait la religion quand il en avait besoin. Par exemple, en 2000, Saddam lui-même a lancé une campagne contre les femmes qui se prostituaient à cause de la pauvreté. Il a fait décapiter 200 femmes et a mis leurs têtes sur le perron de leurs maisons.

Mais aujourd’hui, l’islam politique fait la même chose. A Mossoul, une des responsables du département de droit de l’Université a été décapitée et sa tête laissée devant sa maison, pour montrer ce qui attend les femmes qui travaillent. Ce que Saddam faisait, les milices islamistes le perpétuent. Les Américains et leurs marionnettes corrompues du conseil de gouvernement se désintéressent complètement de ce genre de question. Prises en tenaille, les femmes sont les premières victimes de la situation actuelle.

Des élections sont annoncées pour le 30 janvier. Quelle est ton opinion à ce sujet ?

Houzan Mahmoud : En ce qui me concerne, je n’en attends rien de bon. Une élection nécessite la garantie préalable de la liberté d’expression de tous les partis politiques. Il faut une certaine égalité entre eux. Il ne faut ni intimidation ni fraude. Bref, il faudrait une situation à peu près normale. Mais regardez l’Irak : c’est le chaos total ! Meurtres, attentats à la bombe, civils assassinés, etc.

Pour former le conseil de gouvernement et les directions des partis qui le composent, l’Amérique a ramené des gens de l’étranger : la volonté du peuple, au niveau social, n’est absolument pas entrée en ligne de compte dans la formation du gouvernement.

S’il y a malgré tout une élection en janvier, qui va organiser et conduire cette élection ? Les citoyens ? Les Américains ne le permettront pas. Les Américains dirigeront l’élection eux-mêmes, et les résultats sont déjà connus : les vainqueurs seront ceux qui sont déjà au gouvernement. Il s’agit d’une élection illégitime parce que le gouvernement intérimaire est illégitime.

Propos recueillis le 28-11-2004 en anglais
par Laurent Scapin et Xav (AL Paris-Est).

Traduction Laurent Scapin.


Pour plus d’information sur la situation en Irak et les mouvements de résistance sociale dans ce pays, voir le site de Solidarité Irak.

 
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