écologie

Gestion de l’eau : Les communes, solubles dans l’intercommunalité




La hiérarchie territoriale a subi un grand chamboulement appelé loi NOTRe. Cette loi impose un renforcement des régions et des communautés de communes, qui vont accroître leurs domaines de compétence d’ici 2020. Le pouvoir des communes s’en trouve fortement amoindri, ce qui donne peut-être l’opportunité de conquérir d’autres modes de gestion, à la base, par les usagers et usagères par exemple.

La nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) votée en 2015 a été très médiatisée, mais pas pour de bonnes raisons. La réduction du nombre de régions de 23 à 12 a plutôt déchaîné les passions identitaires qu’une critique du pouvoir centralisé.

En augmentant la taille des régions et leur domaine de compétences, comme la gestion des transports publics ou bien la décision en matière économique sur le territoire, l’État a voulu une vraie concentration du pouvoir. Autre symbole de concentration : les huit métropoles créées pour qu’elle pèsent plus fort sur le territoire. Elles accèdent à un régime d’autonomie par rapport à la hiérarchie [1] ce qui va favoriser leur étalement, comme si on n’avait pas encore assez de problèmes avec ça.

Mais la question qui va nous intéresser ici est plutôt celle des intercommunalités. Devant les difficultés des communes à financer les développements du « progrès », l’État croit au financement commun et accélère la mise en place des communautés de communes.

Ce qu’on appelle un transfert de compétence depuis les communes va leur permettre de gérer la distribution de l’eau et son assainissement, les déchets, le tourisme, les équipement sportifs, les aires d’accueil , la gestion du plan local d’urbanisme (PLU) ou encore la politique culturelle du village. Bien sûr les communes siègeront à l’intercommunalité, mais proportionnellement à leur importance et les petites n’auront presque plus de pouvoir de décision. Elles deviendront gestionnaires locales des intentions de la communauté de communes.

Le lien entre ces deux niveaux de restructuration ? La hiérarchie. Moins de donneurs d’ordres, de plus grands espaces qui permettent des décisions plus « efficaces ». Le risque est que le sommet de la hiérarchie se mette à exiger n’importe quoi et que les communes décrochent complètement du train en marche.

L’exemple de l’eau

La loi NOTRe étant un texte long, on va se concentrer sur le nouveau schéma de l’eau. Pour commencer, ce sont de nouveaux établissements à fiscalité propre mais faisant partie de l’intercommunalité (établissements publics de coopération intercommunale ou EPCI) qui géreront l’eau et son assainissement. Plus aucune commune n’aura de gestion en direct de ce sujet, un seuil par nombre d’habitants forçant les communes à créer des établissements communs. Selon Marc Laimé [2], nous devrions passer de 15 000 établissements actuels à 1 500 dans trois ans, un changement sans précédent.

On pourrait se réjouir que des moyens communs soient mis en œuvre pour une gestion plus cohérente de l’eau, mais en fait, bon nombre de communes vont perdre la gestion de leur ressource et à terme la ressource tout court. En effet, de grands établissements de gestion ne veulent pas dire que la compétence technique sera conservée. Au contraire, plus les responsabilités sont grandes, plus les établissements vont vouloir sous-traiter à des privés leur gestion de l’eau potable et/ou usée, ainsi que celle des réseaux de distribution. Et d’un autre côté, plus les marchés sont importants, plus les privés vont essayer de les obtenir.

Sortir de l’engrenage du privé est ensuite très dur, à cause de la perte de personnel compétent, ou de l’opacité de la gestion des sous-traitants. Avec un peu de malchance une commune qui avait ses propres sources les verra condamnées et remplacées par de l’eau normée issue du réseau du sous-traitant, pompée parfois très loin. Une boîte comme Véolia Eau, qui distribue de l’eau à 23 millions de personnes en France, doit probablement se lécher les babines de voir tous ces EPCI agglomérer les petites communes qui n’ont jamais voulu privatiser !

Autre innovation de la loi : la compétence de gestion du milieu aquatique et prévention des inondations (GEMAPI). Cette compétence votée en 2014 force l’adhésion à des groupes (EPCI) qui gèreront la pollution et le cycle complet de l’eau sur leur territoire. Liée à la restructuration de la loi NOTRe elle vise à plus de cohérence, pour une meilleure gestion.

L’organisation des travaux et les expertises vont se faire à plus grande échelle, par bassin versant, dans des commission pilotées par les acteurs économiques et les politiques. Il faut noter que le bassin versant est une spécificité de l’eau, techniquement bien fondé puisqu’il se fie au parcours de l’eau dû à la gravité (l’écoulement des cours d’eau depuis sa source jusqu’à la mer) et non par unité technocratique (les 12 régions par exemple).

Le problème c’est que les bassins versants sont au nombre de six. C’est donc au niveau de territoires très vastes que se prendront les décisions. Or les solutions à grande échelle favoriseront la plupart du temps des réponses techniques à fort investissement, quand la petite échelle favorise des solutions plus concrètes et moins coûteuses ou plus intelligentes.

Une structuration hyperhiérarchisée

Les échelons « supérieurs » sont le département et la région voire la métropole pour les autres domaines de compétence. Au-delà dans la hiérarchie, il y a les schémas directeurs, qui ont analysé jusqu’en 2016 les capacités en eau et mettent maintenant en œuvre la politique d’état. Puis l’Agence de l’eau, et enfin la directive cadre sur l’eau (DCE) qui est la directive européenne.

En prenant les objectifs de la DCE, sur le plan de l’action publique il s’agit pour tous les pays d’Europe d’améliorer la qualité de l’eau de consommation, mais aussi les cours d’eaux, et de limiter les dégâts liés aux inondations.

Et pour le versant capitaliste des choses, il s’agit surtout d’augmenter la quantité d’eau disponible et de quantifier son exploitation. Toutes ces évaluations sont déjà effectuées sur le territoire (ou en cours), et la loi NOTRe par son obligation d’EPCI viendra faire appliquer la directive d’ici 2025. Cette marche forcée va obliger les communes à de nombreux investissements sans aucun pouvoir de décision.

Si la loi n’est pas allée aussi loin que le gouvernement l’avait prévu, concédant par exemple des possibilités de blocages aux communes, elle aura quand même causé une grogne importante.

Les premiers à être monté.es au créneau sont les maires qui se sont même fendu.es de la création de blogs et ont multiplié les revues pour exprimer leur mécontentement. Évidement, ils voient leur propre obsolescence programmée si ce n’est par cette loi, peut-être par la suivante.

Il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’une nouvelle élection soit créée afin d’élire l’intercommunalité et donc les substituer aux communes. Telle est la volonté de l’État. Les maires pensent qu’il faut se recentrer sur leur pouvoir, qu’ils et elles sont les seul.es à pouvoir créer une cohésion dans le village ou la ville. Il existe un certain soutien de la population à cette colère puisque les électrices et électeurs sont aussi dépossédé.es de leurs moyens d’agir (sinon le droit de veto péniblement concédé). Il ne sera plus possible de saisir directement un ou une élue pour une quelconque question d’aménagement, comme un captage d’eau ou tout autre question locale.

Une opportunité d’action locale ?

Loin de se limiter à une question d’eau, toutes les compétences des communes sont affectées. Il s’agit d’un réel vide qui se crée et il est nécessaire de s’en saisir. Certains maires n’hésitent pas à dire que cette fracture favorise le FN en séparant les institutions des administré.es, favorisant l’impression d’isolement. Ils ont probablement raison et veulent tirer la couverture à eux et elles, mais si le mécontentement se fait entendre, il s’agit peut être aussi de le critiquer et d’amener les gens à se poser d’autres questions que celles qui sont d’actualité. Qu’est ce qu’un élu local quand la décision se prend ailleurs ? Qu’est ce donc qu’être un électeur ou une électrice ? Quels moyens de conserver du pouvoir local ? Ces questions se posent aux personnes qui s’impliquent dans les affaires de leur localité. Et il s’agit donc d’en profiter !

Dans ces moments d’incertitude, d’autres questions peuvent être mieux entendues comme celles de la nature du pouvoir, de la nocivité du centralisme, de l’inutilité des scrutins électoraux, ou comment prendre une décision hors système. Des expériences comme le confédéralisme démocratique de Murray Bookchin ou ce qui se passe dans la commune de Saillans sont basées sur la lutte contre une agression par l’aménagement du territoire et donnent des idées à beaucoup de monde. Il est important que le passage à la loi NOTRe soit considéré comme une agression, et que cela crée des ouvertures.

Voilà pour la théorie de la démocratie représentative, mais il reste l’aspect technique. Une restructuration de la hiérarchie territoriale servira avant tout les leaders économiques locaux puisqu’il s’agit de mettre tous les moyens dans le même panier. Cette organisation sera coûteuse et favorisera les grandes entreprises privées qui pourront par exemple effectuer des aménagements de cours d’eau sur des dizaines de kilomètre de rivière d’un seul coup. Elles seront les seules capables de répondre à de tels appels d’offres. Et le plus important, l’alternative par une initiative locale sera encore plus impossible par manque de cohésion.

Pour prendre la question de l’assainissement, vaut-il mieux suivre les propositions des intercommunalités et installer une station d’épuration par village qui isolera tout le monde ou bien transformer l’usage que l’on fait de l’eau, puis son recyclage de manière collective afin que les ressources ne soient plus menacées, c’est à dire en prenant pleine conscience des enjeux de production et environnementaux ? Collectivement, cela veut dire que tous les habitantes et habitants s’imposeraient à la table des discussions, sans rester dans le rôles d’« acteurs » par secteur que veut leur faire jouer l’État. Il y a là une place à prendre pour des militantes et militants locaux.

Reinette noyée (AL Aveyron)


La France et son écosystème privé de l’eau

Actuellement, 80 % de la distribution de l’eau sur le territoire national est gérée par le privé ainsi que 50 % de son assainissement. Cette proportion opère de l’échelon local à l’international. De grosses boîtes qui datent du XIXe siècle sont actrices dans le développement d’un marché de l’eau. Véolia a commencé en faisant trier les déchets de l’industrie par les victimes des premières pollutions, puis s’est orienté vers le contrôle de l’eau pour les industries, puis les particuliers.

Si l’implication au plus petit échelon du territoire reste une priorité pour de tels groupes (siéger dans les EPCI par exemple), leur but est international. Dans ce registre Véolia et Suez ont fondé en 1990 un de ces tanks à pensée nommé Cercle français de l’eau (CFE) qui se vante d’avoir bien pesé dans toutes les lois émises depuis 1992 [3]. Cette année-là, il s’immisce au sommet de la Terre à Rio pour y insuffler la vision d’un monde responsable écologiquement grâce à leur « accompagnement de l’essor industriel ». C’est à partir de là aussi que Veolia devient international, puis leader mondial de l’eau. Actuellement la propagande du CFE est orientée sur l’économie « circulaire », c’est-à-dire le contrôle de toutes les entrées et sorties d’un réseau pour pouvoir le considérer comme un écosystème (leur appartenant), en prétextant l’écologie [4].

Les « petites » entreprises, pour leur part, axent leurs efforts sur l’innovation, sans négliger l’implantation locale en y noyautant toutes les institutions (la base). L’entreprise Sogédo se présente comme un pionnier des compteurs électroniques de l’eau. Après le remplacement du personnel d’entretien par des capteurs (les coûts fixes), aucune diminution ni des consommations ni des pertes ne se constate sur les réseaux. De plus, l’adhésion au réseau basse fréquence Sigfox contribue à la saturation du réseau hertzien qui est source de diverses maladies. Mais ce qui profite au profit...

Le partenariat public-privé en France (qui passe pour modèle mondial) est fondé sur une propriété publique des réseaux (avec frais d’entretien donc), et une exploitation privée de ceux-ci. Mais face à la gestion pour le moins inégalitaire et coûteuse du privé, on a vu une vague de remunicipalisation ces dernières années comme à Paris ou Grenoble. Ayant peur de perdre leur fond de commerce, les grands groupes ont inspiré un décret pour que le privé n’ait plus à transmettre ses données que six mois avant la prise de décision de changement, entravant sa possibilité. De plus quand un service a été délégué depuis des années c’est la compétence de gestion qui est perdue. Ceci donne lieu à d’invraisemblables compromis, des mairies voulant conserver les réseaux, et déléguer le reste en espérant pouvoir acquérir de la compétence. L’espoir dans le statu quo [5].


[1loi Maptam : Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

[2Voir le blog eauxglacees.com

[3Cerclefrancaisdeleau.fr/le-cfe

[4Voir Alternativelibertaire.org, « L’économie-circulaire lave plus vert »

[5Pour une soirée documentaire, voir le film Water makes money.

 
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