Culture

Lire : Oeser, « Comment le genre construit la classe, Masculinités et féminités à l’ère de la globalisation »




Alors que l’attention aux rapports de genre est souvent vue comme une mise à distance des analyses en termes de classes, cet essai montre comment et combien elle peut au contraire enrichir l’explication sociologique, tant le genre construit la classe, et vice-versa.

Au départ de ce livre, un des conflits sociaux contre la fermeture d’une usine lors du mandat de Sarkozy, l’usine Molex, productrice de connectique automobile à Villemur-sur-Tarn, en Haute-Garonne, définitivement actée en 2009 entraînant le licenciement de 283 salariées.

Le 28 octobre 2008, ils et elles se mettent en grève, entamant un long conflit, prolongé ensuite sur le terrain juridique, jusqu’en 2019. Cette lutte avait suscité un fort intérêt et, outre les sujets ponctuels de différents médias, un film et un livre collectif documentent déjà ce combat. C’est d’ailleurs pour assurer la coordination de ce dernier qu’Alexandra Oeser s’était rendue sur les lieux et l’avait suivi sur la longueur

Avec ce nouvel ouvrage, elle se propose d’étudier l’aspect genré de cette lutte et de s’interroger sur la vision des rapports genrés qu’ont ses acteurs et ses actrices. En effet, si des salariées étaient concernées par cette fermeture et si elles furent présentes dans la lutte, « le conflit a été pensé au masculin et a empêché les femmes de participer en position d’égalité ». Parallèlement, ce sont certaines visions de la masculinité de la classe ouvrière qui ont été mobilisées tant, du côté des salariés en lutte, pour attirer l’attention sur ce conflit, que du côté des dirigeants, pour disqualifier la parole de ces salariés.

L’ambition de cet ouvrage est bien de montrer, à travers cet exemple concret, comment le genre construit la classe, comment les rapports sociaux de genre et de classe sont interdépendants, et comment ils permettent de maintenir les rapports de pouvoir y compris dans les luttes s’y opposant. Ici, non seulement la domination genrée empêche les femmes en lutte de pleinement s’investir mais « les mécanismes genrés […] contribuent à alimenter le mépris de classe des classes supérieures en renvoyant les hommes vers une masculinité marginale et/ou subordonnée ».

Un travail de fond sérieux

Pour étudier ce sujet, l’autrice s’appuie sur différentes ressources : ses observations depuis le piquet de grève, jusqu’à la tenue d’un local associatif, en passant par le combat juridique  ;ses entretiens, notamment avec les cadres dirigeants d’alors, et aussi la riche littérature dans le champs de l’analyse de l’intersectionnalité.

Car, si cette étude est passionnante, il serait illusoire de penser qu’il soit possible de traiter de ce vaste sujet uniquement à travers cet exemple. Ainsi, ce travail ne permet pas réellement de sortir d’un cadre cis et hétéronormé, qui est celui dont témoigne les personnes interrogées. La comparaison, l’appui sur des cadres d’analyses existants et fort bien expliqués, est nécessaire.

Pour nous, militantes libertaires, ce livre peut donc servir notre réflexion, nous aider à être plus vigilantes sur les dominations présentes dans les cadres de luttes dans lesquels nous intervenons et, pourquoi pas, de porte d’entrée vers ce riche champs d’étude qu’il ne peut qu’être bénéfique de mieux connaître. Une des richesses de ce livre est de montrer des acteurs et actrices qui, contraintes par les rapports de domination, n’en prennent pas moins des décisions qui « jouent sur cette construction continue des rapports de pouvoir ».

Sylvain (UCL Montpellier)

  • Alexandra Oeser, Comment le genre construit la classe, Masculinités et féminités à l’ère de la globalisation, CNRS éditions, 2022, 280 pages, 24 euros.
 
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