Histoire

Presse syndicale dans les années 1920 : L’aube de “La Révolution prolétarienne”




Le contexte politique et social des années 1920 est favorable à l’émergence de multiples bulletins, revues et autres journaux syndicaux, à envergure nationale, locale ou encore professionnelle, à l’image du Droit ouvrier, premier mensuel juridique émanant de la Confédération générale du travail (CGT). Quatre ans après la naissance du Peuple, le quotidien de la CGT, un mensuel «  syndicaliste communiste  », intitulé La Révolution prolétarienne, voit le jour. Voici l’origine de sa création

En janvier 1925 paraît le premier numéro de La Révolution prolétarienne, sous-titrée «  revue mensuelle syndicaliste communiste  »  [1]. Deux mois auparavant, le 22 novembre 1924, Pierre Monatte, Alfred Rosmer et Victor Delagarde [2] ont publié leurs Lettres aux membres du Parti communiste.

Extrait  : «  Il est beaucoup question d’homogénéité, d’alignement, de discipline. Du haut en bas du Parti, on établit une cascade de mots d’ordre auxquels on doit obéir sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramentel  : Capitaine, vous avez raison  [3] !

Une mentalité de chambrée se crée et les mœurs de sous-off s’installent. Il n’est question que d’appareil à faire fonctionner, de permanence à instituer. Bientôt la bureaucratie fera la pige à celle de l’État français. On dit que le parti doit être une cohorte de fer. En réalité, quiconque fait preuve de caractère doit être brisé. [...] Il faut s’incliner, non devant des idées ou des décisions prises par l’organisation, mais devant des hommes.

Par ce moyen, ce ne sont pas des cadres solides que l’on prépare, ce n’est pas une cohorte de fer que l’on forme, mais un régiment de limaces. [...]

L’importance du congrès prochain ne peut échapper à l’ensemble des membres du parti. Ce qui est important, ce n’est pas que nous puissions y être frappés d’exclusion, c’est que, sous l’étiquette de la bolchévisation, on y aggrave les méthodes autocratiques actuelles qui sont bien le plus flagrant désaveu du bolchévisme et du communisme  ».

Delagarde, Monatte et Rosmer sont en lutte contre la « bolchévisation » du PCF. La publication de cette lettre ouverte en 1924 vaudra à ses auteurs leur exclusion du parti.

Ces lettres forment une brochure de trente pages. Le ton est rude mais les positions documentées.

Delagarde, Monatte et Rosmer situent leurs contributions dans la perspective du «  prochain congrès de janvier  »  : or, quelques jours plus tard, ils sont jetés hors du parti  ; le 5 décembre, une conférence nationale extraordinaire accusent ces «  ennemis du prolétariat, du Parti et de l’Internationale  » de «  frossardisme  [4] grossier, d’individualisme anarchisant, trotskysme mal affiné  ».

Pierre Monatte (1881-1960), ex-anarchiste, ex-dirigeant de la CGT veut entretenir la flamme du syndicalisme révolutionnaire en fondant la RP.

Revenant sur cette période, Colette Chambelland explique  [5] :

« L’adhésion de ces syndicalistes révolutionnaires au PC a été parfois immédiate - c’est le cas d’Alfred Rosmer qui dès 1920 est membre du petit bureau de l’Internationale communiste , parfois lente – c’est le cas de Pierre Monatte qui ne prendra son premier timbre qu’en mai 1923. […]

Le syndicalisme révolutionnaire refuse les partis – même les partis socialistes – dans la mesure où ils n’ont pas de base ouvrière, où ils se complaisent dans une action parlementaire, où ils jouent le jeu de la bourgeoisie et de la collaboration de classe, où ils voient dans le syndicalisme non une force autonome mais une sorte de masse de manœuvre qu’ils gouvernent. L’expérience guesdiste, les expériences anarchistes n’ont fait que renforcer les syndicalistes dans cette opinion, bien définie par la Charte d’Amiens. […]

Mais les syndicalistes révolutionnaires ne refusent pas ce “parti du travail” auquel pensait Emile Pouget et qui serait l’organisation ouvrière dans toute sa force, dans toute son ampleur, dans toute sa volonté de transformer l’organisation de la société. Le parti communiste – épuré de 1920 à 1923 de ses éléments non ouvriers – leur apparaîtra alors comme un authentique parti ouvrier, totalement débarrassé des scories social-démocrates et pouvant travailler à égalité avec les syndicats. […]

La guerre et le succès de la révolution russe ont été pour eux deux grands chocs. La guerre les a soulevés d’horreur, l’Union sacrée les a soulevés de dégoût. C’est à travers leur lutte – celle d’une poignée – qu’ils se rapprochent des bolcheviks. […] C’est tout naturellement que le “Comité pour la reprise des relations internationales” se transforme en “Comité pour l’adhésion à la IIIe Internationale”. […] La révolution russe victorieuse, mais violemment attaquée, est un exemple – et non un modèle. […] En 1923, tous ces syndicalistes révolutionnaires ont adhéré au Parti et tout en militant dans leurs organisations syndicales, ils écrivent dans L’Humanité. […] Mais la crise éclate dès le printemps de 1924. Elle est décisive.

L’Internationale, le parti russe prennent un nouveau visage. En France les répercussions sont immédiates ; avec Treint, le parti français devance même les décisions de Moscou. Le 18 avril Treint, dans le Bulletin communiste, reproche à Monatte, Rosmer et Souvarine d’être liés avec l’opposition russe et de favoriser les thèses de Trotsky dans le parti français.

Le 22 avril, Monatte démissionne de ses responsabilités et conclut ainsi sa lettre  : “simple membre du Parti, j’aurai les coudées plus franches pour défendre mon point de vue”. Le 23 avril, dans une lettre collective A. Rosmer, F. Charbit, D. Antonini, V. Godonnèche, M. Chambelland, affirment que “les membres du Parti issus du syndicalisme révolutionnaire sont traités en pestiférés”. Eux aussi [démissionnent de leurs responsabilités]. […] Les membres du groupe des syndicalistes révolutionnaires quittent peu-à-peu le “prétendu parti communiste”, comme l’écrit Maurice Chambelland dans sa lettre de démission du 24 septembre, suivie immédiatement d’une exclusion. Le 5 octobre, Monatte, Rosmer et Delagarde adressent une lettre au Comité directeur  ; n’en obtenant pas la publication dans la presse du parti, ils publient le 22 novembre en brochure (reprenant le format des lettres aux abonnés de La Vie ouvrière de la guerre) une lettre aux membres du parti communiste.  »

Tel est le contexte qui précède la publication de la nouvelle revue. Le petit groupe de démissionnaires exclus se réunit quasi quotidiennement, même si chacun a repris un travail «  ordinaire  »  : Chambelland est comptable, Monatte correcteur. La création d’une revue apparaît comme une nécessité  : «  Le souvenir de La Vie ouvrière de 1909 est vif  ; tout naturellement ils pensent à fonder une revue.

Le 26 décembre 1924 Monatte dépose aux services des périodiques du tribunal de la Seine, le titre L’Action ouvrière. Mais les autres membres du “noyau” (le terme est repris de La Vie ouvrière), refusent ce titre trop neutre. Chambelland propose Octobre. Cela fait l’objet d’âpres discussions et Victor Godonnèche rallie le noyau à La Révolution prolétarienne avec le sous-titre “revue syndicaliste- communiste”.  » [6]

Les ambitions sont explicitées dans le numéro 2  : «  Ce que nous comptons faire  ? Donner au mouvement révolutionnaire français la revue ouvrière qui lui manque. Le quotidien, l’hebdomadaire ont leur tâche. Une revue a la sienne, qui n’est pas négligeable. Elle consiste à étudier les grandes questions théoriques et pratiques, à dégager les leçons des événements qui se produisent, à ramasser les informations et les documents dont les militants ont besoin. […]

Pour les uns, nous sommes trop syndicalistes. Pour d’autres, nous sommes trop communistes. Ceux qui n’ont besoin que d’un catéchisme, quel qu’il soit, ne trouveront probablement pas leur compte ici. Mais tous ceux qui font un effort pour s’informer honnêtement, pour se former une opinion en con-naissance de cause ne perdront pas leur temps en nous lisant.  »

Alfred Rosmer (1877-1964), syndicaliste opposant à la Grande Guerre, a participé au lancement de la IIIe Internationale, avant de rompre avec le PCF. Il est l’un des animateurs de la RP.

En octobre 1925, Trotsky demande à Monatte et Rosmer «  quoique étant formellement en dehors du Parti, d’agir comme des soldats du Parti  », donc de cesser la parution de La Révolution prolétarienne et de faire appel de leurs exclusions auprès de l’Inter¬nationale communiste.

Le refus est net et motivé  : «  Nous n’avons pas fait appel parce que nous sommes persuadés que c’est dans la politique et les méthodes pratiquées par la direction de l’Internationale communiste elle-même que réside la cause des lourdes fautes commises par ses sections au cours des deux dernières années  ; que cette politique et ces méthodes marquent une rupture avec la politique et les méthodes antérieures, remettent en question les principes mêmes sur lesquels l’Internationale communiste a été fondée. [...] La conséquence normale c’est qu’aujourd’hui il y a place pour un révolutionnaire hors de l’Internationale communiste. Et une autre conséquence, c’est qu’une revue comme La Révolution prolétarienne est un organe nécessaire.  »

Jusqu’en 1939 La parution cesse lors de la déclaration de guerre. Elle reprend en 1945 et, après quelques péripéties, continue aujourd’hui, trimestriellement. Le no 835 est paru en décembre 2023., la revue va accueillir celles et ceux qui luttent à la fois contre «  les prétendus communistes  » qui caporalisent les syndicats et contre les «  réformistes  » qui nient la lutte de classe. Ce n’est qu’en 1930, qu’elle change son sous-titre  : de «  revue syndicaliste communiste  », elle devient «  revue syndicaliste révolutionnaire  ». Mais de cela nous aurons l’occasion de reparler à l’occasion des cent ans de la revue, en janvier 2025.

Christian Mahieux, membre de l’actuel comité de rédaction de La Révolution prolétarienne


Chronologie

  • Décembre 1900 La Voix du peuple, hebdomadaire officiel de la CGT jusqu’en 1914 puis mensuel jusqu’en 1946.
  • 5 octobre 1909 La Vie ouvrière, revue syndicaliste bimensuelle créée par Pierre Monatte. La revue devient l’organe officiel de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) après la scission de 1921.
  • 27 avril 1911 La Bataille syndicaliste, journal syndicaliste révolutionnaire de la CGT, quotidien.
  • 3 novembre 1915 La Bataille, organe quotidien syndicaliste jusqu’en 1919 puis hebdo¬madaire jusqu’en 1920, année où la parution cesse.
  • 1920 Le Droit ouvrier, mensuel juridique de la CGT. C’est la première revue française dans le champ du droit social, du travail et de la sécurité sociale. Elle cesse de paraître en 1940, sous le régime de Vichy qui interdit tous les syndicats. Elle reparaît en avril 1948.
  • 4 janvier 1921 Le Peuple
  • 1er novembre 1922 La Vie syndicale, bulletin mensuel de la CGTU.
  • Janvier 1925 La Révolution prolétarienne

[1La revue deviendra bimensuelle à compter de janvier 1927.

[2À propos des militants et militantes citées dans l’article, voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier  : www.maitron.fr.

[3C’est une allusion à Albert Treint qui était alors secrétaire général du Parti communiste (PC)  : mobilisé lors de la guerre de 1914-1918, il avait été nommé capitaine en 1917.

[4Premier secrétaire de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, le PC) de janvier 1921 au 1er janvier 1923, Frossard revint à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, le parti socialiste) en juin 1924.

[5Colette Chambelland, « La naissance de La Révolution prolétarienne », Communisme, no 5, 1984.

[6Ibid.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut