Athéisme et laïcité : La politique anarchiste vis-à-vis des religions




De Bakounine à nos jours, l’anarchisme a toujours combiné affirmation athée et défense de la liberté de culte. D’où la présence de l’UCL dans la rue le 10 novembre en soutien à la minorité musulmane ciblée par une véritable hystérie politique et médiatique.

À l’occasion de la marche du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, l’UCL a été plus d’une fois interpellée par des sympathisantes, des camarades d’autres courants politiques, ou de simples curieux. Anarchisme et religion, n’est-ce pas antinomique ? Votre devise n’est-elle pas « ni dieu ni maître » ? Finalement, vous renoncez à l’anarchisme pur et dur ?

Il y a là une grosse incompréhension. Si l’UCL affirme sans ambiguïté son athéisme, si elle estime que « les religions comptent parmi les principaux vecteurs des aliénations », elle s’oppose également aux « persécutions » et « interdictions à l’égard des croyantes et croyants », et prône une société garantissant liberté de culte et liberté de conscience [1]. Il était donc logique de marcher le 10 novembre.

Loin d’être un pas de côté, cette politique correspond, en réalité, à ce qu’a été la politique de l’anarchisme vis-à-vis des religions, depuis l’origine. Dès ses premiers programmes libertaires, dans les années 1860, Michel Bakounine séparait bien les exigences.

D’un côté, l’organisation révolutionnaire devait être ouvertement athée, c’est-à-dire refuser de conformer sa politique à une vérité révélée ou à une tradition, et la fonder sur la raison humaine « reconnue comme critérium unique de la vérité ».

D’un autre côté, son but devait être une société garantissant la liberté de conscience et de culte, séparée de toute « Église officielle », mais avec le « droit illimité pour chacun d’élever des temples à ses dieux et de payer ses prêtres » [2]. Bref, une société laïque, pour employer le vocabulaire de notre époque [3].

Il n’y a nulle contradiction entre positionnement pour une société laïque d’une part, et d’autre part affirmation athée. D’une part parce que la laïcité autorise aussi bien le prosélytisme religieux que son contraire. D’autre part, parce que le recul de l’influence religieuse est un prérequis à l’avènement d’une société laïque. Tant qu’une religion est hégémonique et que son clergé domine le rapport de forces, celui-ci n’a aucune raison d’accepter les limites que la laïcité fixerait à son pouvoir.

Une analyse matérialiste

À quelques exceptions près, l’anarchisme, après Bakounine, a reproduit cette orientation : primo, un combat anticlérical, pour stopper l’ingérence du clergé – et plus largement du lobby clérical – dans les affaires publiques ; secundo, une affirmation athée, fondée sur une analyse matérialiste de la religion, phénomène social et construction historique ; tertio, un refus de la stigmatisation des minorités, dont la finalité est d’affermir l’État-nation par l’exclusion des éléments « étrangers ».

Tout cela a conduit le mouvement anarchiste à prendre la défense des minorités juive et musulmane en Occident, alévie et chrétiennes en Turquie, par exemple. À l’occasion d’un processus révolutionnaire, travailleuses et travailleurs croyants et non-croyants lutteront côte à côte, comme aujourd’hui dans les luttes sociales. La société communiste libertaire qu’on leur proposera, sans classe et sans État, devra également
être pleinement laïque pour inclure à égalité ses diverses composantes.

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

[1Cf le Manifeste de l’UCL, 2019.

[2Bakounine, Principes et organisation de la Société internationale révolutionnaire, 1866 (éditions L’Escalier, 2014).

[3Jean-Christophe Angaut, « Bakounine contre Dieu. Enjeux contemporains de l’antithéologisme », in Actualité de Bakounine 1814-2014, Éditions du Monde libertaire, 2014.

 
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