Politique

Confédération paysanne : « Les annonces du gouvernement sont une régression »




Après le large mouvement du milieu agricole fin janvier, le gouvernement a fait une flopée d’annonces début février, qui ont semblé contenter la FNSEA. Nous avons pu poser quelques question à Vincent, éleveur de chèvres dans le Var et membre de la Confédération Paysanne, pour faire le point sur la situation et la suite de ces mobilisations.

Peux-tu résumer les annonces du gouvernement et leurs effets  ? Pourquoi est-ce que la FNSEA s’en félicite  ?

La deuxième série d’annonces de Gabriel Attal, ce sont en fait des choses qui étaient déjà en négociation avec la FNSEA et les JA [1]. Ce sont des mesures qui ne contentent que les gros agriculteurs, voir en fait qu’une partie des gros. Le recul sur le plan Ecophyto c’est un peu l’écran de fumée pour faire plaisir à la FNSEA. Les autres mesures sont fiscales et ne servent qu’à une partie des agriculteurices qu’elle représente.

Ce sont surtout des céréaliers et des oléiculteurs qui dirigent la FNSEA, comme son président Arnaud Rousseau qui est président du groupe Avril [2]  : eux ils sont contents. Pour les autres membres c’est plus compliqué  : les éleveurs bovins par exemple sont en train d’organiser une reprise du mouvement.

Localement on voit que la FNSEA et les JA vont relancer des actions car la base est mécontente des annonces. Pour nous à la Confédération paysanne, ces annonces sont plus une régression qu’une avancée. On a envie de continuer le mouvement sur nos propres revendications, comme on le fait depuis le début.

Quelles sont vos revendications à la Conf’  ?

Dans l’immédiat elles portent sur deux points principaux. Premièrement, le revenu  : exiger des prix planchers pour les denrées alimentaires équivalents à nos prix de revient, c’est à dire nos coûts de production, nos rémunérations et nos cotisations sociales. Des lois sur le sujet sont passées en Espagne et en Belgique par exemple, pour assurer des prix plus juste et interdire la vente à perte.

Deuxièmement, on demande l’annulation des accords de libre-échange  : l’arrêt des discussions sur le Mercosur [3] par exemple. Aussi, pendant le mouvement, ils ont osé signer un accord entre le Chili et l’Union européenne. Dans ces accords les matières agricoles servent de monnaie d’échange  : dans ce dernier cas, le Chili veut surtout exporter des terres rares, et l’Europe des biens industriels. On revendique l’arrêt de ces accords, néfastes pour les agriculteurices européennes, mais aussi pour l’agriculture des pays du Sud.

On voit que le mouvement est international, avec des manifestations dans de nombreux pays européens. Est-ce qu’il y a des perspectives de coordinations internationales ?

Au niveau de la Conf’ on est adhérents de la Via Campesina, un regroupement de syndicats paysans à l’échelle mondiale, et de l’ECVC, son pendant européen. Au niveau européen on a de vrais échanges, notamment sur la riposte à l’extrême droite, sur ce sujet on a été assez inspirés par les allemands de AbL [4] ces derniers mois. Il y a aussi eu un gros rassemblement de la Via Campesina à Bruxelles il y a quelques semaines lors de la dernière Commission européenne.

Tu peux développer le sujet de l’extrême droite dans le monde agricole ?

A la Conf’ on se rend bien compte que comme partout, l’extrême droite progresse. Depuis une vingtaine d’années ça passe notamment par la croissance de la Coordination rurale (CR), syndicat agricole d’extrême droite aux idées vraiment réactionnaires et conservatrices, avec des slogans à la limite du pétainisme, qui a beaucoup progressé dans les élections professionnelles. Même si la France ne compte plus que 400 000 agriculteurrices, on est une des professions les plus syndiquées donc ces évolutions se voient vite. Comme partout, cette montée est liée à l’appauvrissement, à l’effondrement des services publics… Il y a de moins en moins de monde disponible pour nous aider à la MSA [5], aux services agricoles de la DDT [6]… Il y a un vrai sentiment d’abandon chez les paysans.

Pour revenir aux mobilisations de janvier/février, peux-tu nous dire comment elles ont démarré ?

Au tout début, le mouvement a démarré de façon très spontanée dans le sud ouest, principalement sur la question des normes sanitaires et administratives. La FNSEA et les JA ont rattrapé le mouvement après coup.

C’est parti des bases syndicales, voir de personnes non syndiquées. Ce premier temps a été l’occasion d’aller au contact de ces personnes. Une fois que la FNSEA et les JA ont repris le mouvement, c’était beaucoup plus compliqué d’aller sur leurs rassemblements  : on n’était plus les bienvenues. Depuis les mobilisations contre les méga-bassines, c’est compliqué de venir à un rassemblement FNSEA avec un drapeau de la Conf’.

Du coté de la Confédération, on a aussi raccroché le mouvement après ce départ spontané, mais on a pas du tout les même revendications que la FNSEA. On revendique l’installation d’un million de paysans, de plus petites fermes, moins de pesticides, l’arrêt du glyphosate et des néonicotinoïdes… Assez vite il n’y avait plus de dialogue possible.

Penses-tu que les mobilisations pourraient reprendre ?

Nous à la Conf’ on a jamais ¬arrêté  ! Ces quinze derniers jours on a beaucoup axé la lutte sur les grandes surfaces et leurs plateformes logistiques, soit via le blocage des plateformes, soit en faisant des marchés paysans devant les supermarchés, et des actions de sensibilisation auprès des clients pour leur montrer que nos produits sont souvent moins cher et de meilleur qualité en vente directe. On essaye de pointer que le système actuel pénalise tout le monde  : les agriculteurs sous-payés et les consommateurs qui paient des prix gonflés par les marges de la grande distribution. Maintenant on essaye de préparer des actions internationales contre de grands groupes céréaliers ou laitiers. On veut aussi mettre la pression avant le salon de l’agriculture.

C’est important de bien comprendre le contexte  : les prochaines élections professionnelles agricoles seront en janvier 2025, donc outre les difficultés réelles, il y a aussi une envie des syndicats d’occuper le terrain en vue des élections. Le sujet va rester à l’agenda de 2024 pour les mois à venir.

Quel bilan fais-tu du mouvement jusque là ?

Même si pour nous, on considère qu’on est actuellement sur une défaite, on peut quand même voir que ces mobilisations ont put donner de la visibilité à nos luttes et à nos revendications auprès du grand public. L’ouvrage collectif «  Reprendre la terre aux machines  » développe bien l’idée selon laquelle les changements nécessaires à une transformation vers l’agriculture paysanne ne pourront se faire que si les agriculteurices ont le soutien du reste de la société. On a pu voir des moments de rapprochement avec la population lors du mouvement, et ça c’est une belle avancée.

Propos recueillis par N. Bartosek

[1Les Jeunes Agriculteurs, syndicat agricole très proche de la FNSEA

[2Groupe agro-industriel spécialisé dans les huiles, aillant réalisé 9 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2022

[3Marché commun du sud, zone de libre échange rassemblant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie

[4Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschafttra, équivalent allemand de la Confédération paysanne

[5Mutualité sociale agricole, régime de protection sociale obligatoire des professions agricoles

[6Direction départementale des Territoires

 
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