E-travail : Les turkers contre la bête e-monde




La main-d’œuvre ultraprécaire et ultra-atomisée du monde numérique ne favorise pas l’organisation collective. Pourtant, des combats se mènent et parviennent même à gagner. Illustrations.

La concurrence et la précarité ne favorisent pas les mobilisations, mais si en plus on considère les conditions du travail indépendant sur les plateformes du monde de l’Internet, travail physique comme sur Uber ou numérique comme sur le Mechanical Turk, on peine à imaginer comment construire des résistances collectives, et les syndicats français sont loin de s’en préoccuper. Et pourtant, quelques pistes se sont dessinées récemment.


Lire les deux autres articles sur l’e-travail :


Le 17 juin de cette année, la Commission du travail de San Francisco, en Californie, a décidé de reconnaître le statut d’employée à une conductrice d’Uber. Le motif avancé est que l’entreprise participe à tous les aspects de l’activité de ses chauffeurs, puisqu’elle contrôle la relation avec les clients, influe sur la rémunération des conducteurs, exclut les chauffeurs les moins bien notés, etc. En France, c’est suite à une baisse des salaires de 20 % que des conducteurs d’Uber viennent de se mobiliser pour créer le premier syndicat du domaine et imposer le maintien des salaires, sous menace de boycotter la plateforme. Syndicat corporatiste et bien peu politique, certes, mais néanmoins un premier pas vers la construction d’un rapport de force. Quand aux plateformes de freelance et de microtasking, c’est notamment du syndicat allemand IG Metall qu’est venu le premier effort de publicisation, par la réalisation d’une enquête sur les conditions de travail : « Faircrowdwork », permettant de déposer des témoignages, de noter les différentes plateformes, etc., mais aussi par quelques prises de paroles sur le sujet.

Résistances des turkers

Par ailleurs, un groupe d’activistes, de chercheurs et de travailleurs du Mechanical Turk, ont créé le groupe Dynamo (gravitant autour du site web wearedynamo) pour partager des informations et permettre l’auto-organisation des turkers. Quelques centaines de personnes se sont mobilisées, mais ça n’a pas duré et le mouvement est retombé après quelques campagnes de pression sur Amazon. Reste que de nombreuses listes mails, forums, groupe Facebook et autres contribuent à constituer le métier de turker, à transmettre les ficelles, le meilleur moyen ­d’utiliser la plateforme ou de fuir les mauvais employeurs, et à communiquer collectivement sur la souffrance ressentie.

Enfin, le plus surprenant est certainement le développement du Turkopticon, une extension de navigateur Internet qui se greffe sur l’interface du Mechanical Turk, et qui permet déjà à plusieurs dizaines de milliers de turkers de noter chacun les différents employeurs, selon la qualité de sa communication, le montant des salaires versés, la fréquence du rejet arbitraire des travaux, et la vitesse de paiement des salaires. La volonté de s’organiser semble ne pas manquer, mais il reste à trouver les moyens de lutter efficacement contre cette façon d’exploiter un prolétariat précaire largement atomisé.

Marco (AL Paris nord-est)

 
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