Lire : André Hébert, « Avec les Kurdes contre Daech »




André Hébert a été volontaire au sein des YPG entre 2015 et 2017. Il livre à travers ce livre un témoignage politique passionnant sur la révolution en cours.

Ce livre a été en premier motivé par la nécessité de tordre le cou aux contre-vérités circulant sur le conflit qui a embrasé et embrase encore la Syrie. En effet, après avoir soutenu pendant un premier temps l’Armée syrienne libre, qui s’est pour l’essentiel délitée ou recyclée au sein de l’État islamique et des mercenaires à la solde de la Turquie, la Coalition internationale  [1] a dû se résigner à soutenir les YPG  [2], seule force parvenant à tenir tête à Daech, malgré leur idéologie révolutionnaire. Afin de justifier le lâchage en cours actuellement, il leur faut maintenant réécrire l’histoire de la guerre contre Daech, en minorant le rôle des révolutionnaires kurdes et étrangers d’un côté, et le soutien de la Turquie à l’État islamique de l’autre.

Ils ont pourtant été 700 volontaires étrangers, dont une trentaine de Français, à rejoindre les YPG.


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Le confédéralisme démocratique

André Hébert a combattu à leurs côtés dans plusieurs unités, offrant une vision assez diversifiée de la réalité du front  : d’abord aux côtés de volontaires «  apolitiques  », puis dans le Bataillon international, dans une unité de démineurs, etc. Le récit alterne ces témoignages du front avec des réflexions politiques, basées sur les expériences du jeune révolutionnaire. Ainsi, la libération d’une ville occupée par les djihadistes est suivie d’un chapitre sur l’idéologie de Daech, étayé par les découvertes glaçantes faites sur place, relevant du nihilisme à l’état pur  : culte du suicide, esclavagisme sexuel, drogues (alors que Daech punit du fouet les fumeurs de cigarettes), etc.

On trouvera également des descriptions du confédéralisme démocratique kurde, des différents motifs d’engagement et des parcours de volontaires, du féminisme kurde, et des modalités de guerre des Kurdes, qui vise à rester le plus humain possible pour préparer l’après. À l’heure où Amnesty international produit des rapports bâclés mettant en cause les Kurdes, ce témoignage permet de remettre les pendules à l’heure  [3].

Son séjour en Syrie sera entrecoupé d’un retour en France, qui illustre bien les atermoiements des États engagés auprès des Kurdes. André Hébert sera en effet arrêté une première fois au Kurdistan irakien  [4], et une seconde fois en France, par la DGSI, alors qu’il s’apprête à repartir. Ceux-ci lui confisquent son passeport et il faudra un recours au tribunal administratif pour pouvoir rejoindre de nouveau les combats et participer à la libération de Raqqa. Preuve que la France est d’accord pour soutenir par des frappes aériennes la lutte contre Daech, mais pas pour laisser des militant.es français partir combattre aux côtés des Kurdes.

À l’heure où des témoignages de volontaires étrangers douteux se multiplient sur Internet, il faut préciser qu’il n’y a de la part d’André Hébert aucune volonté de briller. Il n’a de cesse de rappeler le caractère collectif et solidaire des actions menées, l’engagement de militant.es qui ne sont parfois plus là pour témoigner, ou qui resteront dans l’anonymat.

Nihilisme de Daech

Le but de ce livre est donc bien de « construire un courant d’opinion, parler de cette révolution, la comprendre et voir ce qui peut nous inspirer ici  : le féminisme, la collectivisation, la démocratie directe. On voit par exemple avec le mouvement des gilets jaunes qu’il y a une aspiration pour la démocratie, le confédéralisme démocratique peut peut être nous donner des outils pour y répondre » [5]. Faire connaître cette révolution prend tout son sens à l’heure où la révolution au Rojava est menacée : « Les pays européens s’aligneront sur la décision des États-Unis de retirer ou pas leurs troupes, et de laisser la Turquie attaquer. Or les Kurdes ont réellement partagé le pouvoir avec les autres communautés, mais l’adhésion de celles-ci au confédéralisme démocratique reste encore fragile. Sur le plan militaire, s’il y a de nombreux membres des autres communautés, en particulier arabes, à la direction des Forces démocratiques syriennes, le soldat de base pourrait très bien se retourner pour quelques centaines de dollars par mois ».

Concluons sur le fait que ce livre sort dans une collection prestigieuse, aux côtés d’œuvres de J. Steinbeck, H.G. Wells ou E. Jünger, et est remarquablement préfacé par la journaliste Pauline Maucort  [6], qui le resitue très bien au sein des grands témoignages politiques de révolutionnaires partis combattre loin de chez eux.

Grégoire (AL Orléans)

  • André Hébert, Jusqu’à Raqqa. Avec les Kurdes contre Daesh, Les Belles Lettres, 2019, 256 pages, 21 euros.

[1Coalition intervenant depuis août 2014 en Syrie, essentiellement via des frappes aériennes, regroupant les États-Unis et leurs alliés de l’Otan et des monarchies pétrolières. La Russie intervient également mais indépendamment, avec ses alliés.

[2YPG  : Unités de protection du peuple, la branche armée du parti révolutionnaire kurde de Syrie, le PYD.

[3Lire sur ce sujet « Les YPG ont-ils commis des crimes de guerre ? », Alternative libertaire, décembre 2015.

[4En Irak, le parti kurde majoritaire, le PDK, et sa force armée les peshmergas, sont des capitalistes alliés politiquement aux États-Unis.

[5Les citations sont issues d’un entretien téléphonique réalisé avec l’auteur le 15 avril.

[6Auteure entre autre du documentaire radiophonique fascinant « Engagés volontaires, se battre pour ses idées ».

 
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