Culture

Voir : En grève (le rail en 2019-2020)




En 2003, Christophe Cordier avait déjà suivi les cheminotes de Paris-Est et de Pantin durant cette « drôle de grève qui persévère, mais ne prend pas » comme disait son documentaire d’alors, Une journée pour rebondir. Seize ans plus tard, Adeline Gonin et lui sont retournées aux mêmes endroits pour filmer une grève historique, massive, puissante, la plus longue qu’ait connu le chemin de fer en France.

Démarrée le 5 décembre 2019, elle a allègrement franchi les fêtes de fin d’année pour ne s’achever que fin janvier 2020. Et encore, sans amertume ni résignation. Quelques semaines plus tard, le gouvernement prenait prétexte du coronavirus pour abandonner son projet de retraite à points.

Entre les deux événements, un point commun saute aux yeux : le peu de monde en assemblée générale, amenuisant l’auto-organisation. En 2003, c’était le signe d’une lutte qui toussotait. En 2019, on a pu incriminer la culture du « distanciel » (réseaux sociaux, smartphone), mais aussi, plus prosaïquement, l’impossibilité de se rendre sur le site quand les transports sont bloqués !

Malgré que l’AG soit clairsemée, on se félicite donc d’une vague irrésistible qui « déjoue les préavis de quarante-huit heures, où à l’aiguillage même les cadres ont débrayé ». C’est une véritable revanche sur la grève intermittente de 2018, qui avait cumulé 36 jours de grève discontinus, gaspillant la combativité sans parvenir à créer un rapport de force. Le mouvement n’oublie pas les travailleuses et travailleurs exclues du statut cheminot : « Au guichet, aujourd’hui, ils ont mis trois intérimaires et deux CDD » pour remplacer les grévistes.

Bien construit, le film évite l’écueil du documentaire militant linéaire, dispersé ou emphatique. On est là « à hauteur d’individu », avec un fil narratif et des personnages récurrents, notamment les syndicalistes SUD-Rail qu’on avait suivis en 2003... pas fatiguées, plus aguerries !

Plusieurs scènes font franchement sourire. Cette caricature de bourgeois de gauche parisien, tête à claques avec son look à la Michel Onfray, qui vient traiter les manifestantes et manifestants de privilégiées ; ces policiers en armure qui font irruption en plein meeting de rue pour ceinturer un syndicaliste portant un autocollant vaguement anti-flics…

Mais, outre quelques passages plus intimes, les scènes les plus touchantes restent celles des échanges simples et chaleureux entre cheminotes et salariées de l’Opéra de Paris. Images fortes de l’orchestre en dissidence, violons en mains au crépuscule, sur les marches de la Bastille, devant des manifestantes et manifestants soudain silencieux. Et le grand air dramatique du Roméo et Juliette de Prokofiev qu’ils interprètent alors reviendra ponctuer les séquences film.

Au bout de cinq semaines de lutte, on sentait un coup de mou en AG. Un syndicaliste remotivait alors les collègues en montrant le chemin parcouru : « Deux manifs entre Noël et le Jour de l’an, mais c’est historique ce qu’on a fait ! »

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

  • Christophe Cordier, Adeline Gonin, En grève, Kanari Films/Télé Bocal/Canal Marches, 2023, 60 minutes.
 
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