Syrie-Kurdistan

Un communiste libertaire dans l’IFB #04 : « Condamné à observer de loin la bataille d’Afrîn »




« Je me suis fait repérer par le même officier syrien avant même d’être monté dans le véhicule, toujours sous l’œil d’un soldat russe. »


Alternative libertaire reproduit les billets du blog Kurdistan-Autogestion-Révolution où, après Arthur Aberlin, engagé au sein des YPG, s’exprime à présent Damien Keller, engagé lui dans le Bataillon international de libération (IFB).

Au fil des semaines, il témoignera de la vie au sein de l’IFB, des débats qui s’y mènent et de l’évolution du processus révolutionnaire dans la Fédération démocratique de Syrie du Nord.


Canton de Cizîrê, le 7 février 2018

Comme je l’ai dit dans un précédent billet, je devais participer à la défense d’Afrîn avec mes camarades des YPJ-YPG. Pourtant, cela s’est avéré impossible, pour des raisons qui en disent long sur le profit que le régime de Bachar el Assad espère tirer de cet affrontement entre deux de ses adversaires.

Le canton est sous le feu de l’armée turque et de ses supplétifs de l’Armée syrienne libre ; les Forces démocratiques syriennes y envoient autant de renforts que possible. Or le canton d’Afrîn est isolé du reste de la Fédération démocratique de Syrie du Nord. Les renforts doivent donc être acheminés en autocar et en voiture à travers des zones contrôlées par l’armée syrienne. Celle-ci filtre les combattantes et les combattants, et interdit l’entrée du canton à un certain nombre – dont moi.

Officier syrien et soldats russes

Le jour du départ, nous patientions dans la campagne de Manbij. La veille, une officière YPJ nous avait fait part du sacrifice de notre camarade Avesta Xabûr, qui a réussi à détruire un tank turc, mais n’y a pas survécu.

Dans une attaque à la grenade, Avesta Xabur a détruit un tank turc, mais n’a pas survécu.

Alors que nous préparions le convoi, nous étions observé.es par des soldats russes et des officiers de Bachar el Assad.

Visiblement, la présence de volontaires internationaux les dérangeait. Malgré plusieurs heures d’attente, le convoi n’obtenait toujours pas l’autorisation de départ. Au final, un officier syrien est venu nous interpeller : interdiction de passer pour les internationaux. Toutes celles et ceux qui n’avaient pas un faciès suffisamment kurde à son goût ont dû descendre de l’autocar. Plusieurs, malgré tout, sont passés à travers les mailles du filet. Ces camarades plus chanceux sont donc partis pour Afrîn, où ils ont combattu le lendemain même.

Pourquoi cette interdiction ? Pour éviter que la mort de volontaires internationaux attire l’attention de la communauté internationale ?

Deux jours plus tard, nous avons de nouveau tenté notre chance. Une officière des YPJ nous a recommandé de ne parler qu’en kurmandji. Même instruction aux camarades arabes, pour éviter que le régime ne les empêche de passer, ce qui est semble-t-il arrivé sur d’autres convois. Que des Kurdes se fassent tuer à Afrîn, cela arrange le régime qui les a toujours considéré comme des citoyens de seconde zone. Mais pas des Arabes, qui sont malgré tout considérés comme « sauvables » même s’ils ont rejoint les FDS.

Ruse inutile

Pour passer inaperçu, j’ai noué mon keffieh sur mon front, tenté de brunir ma peau avec un peu de crème mélangée à de la rouille… Peine perdue : je me suis fait repérer par le même officier syrien avant même d’être monté dans le véhicule, toujours sous l’œil d’un soldat russe. Malgré tout, quelques camarades supplémentaires ont réussi à passer.

A chaque fois que je voyais un convoi partir, je savais que je ne reverrais pas la moitié de mes camarades. Toutes et tous les volontaires ont conscience qu’ils risquent de ne pas en revenir.

Je suis donc reparti à l’arrière, pour des tâches de logistique et de gestion de notre QG. D’autres camarades internationaux tenteront leurs chances, leur visage étant inconnu des services de Bachar el Assad.

Pendant ce temps, les bombardements sur les populations civiles continuent dans le canton d’Afrîn, faisant des dizaines de morts. En Turquie, des manifestant.es et des internautes s’opposant à cette opération ont été arrêté.es.

Le 2 février, nous avons appris la mutilation du corps de notre camarade Barîn Kobanê par des membres de l’ASL, après sa mort au combat.

Des gangsters de l’Armée syrienne libre ont atrocement mutilé le corps de Barîn Kobanê et de trois autres combattantes des YPJ. La douleur et la colère sont immenses dans la population.

En France, le gouvernement trahit sans hésitation les YPG-YPJ. Après s’être servi d’eux et d’elles dans la lutte contre Daech, Le Drian et Macron les qualifient de « potentiels terroristes ». Cette trahison ne pourra qu’encourager Erdogan, dans son offensive contre Afrîn, et peut-être contre la ville de Manbij puis sur la frontière irako-syrienne.

Vous pouvez continuer à nous aider depuis vos pays, que ce soit en France ou ailleurs, en menant et en continuant des actions : manifestations de solidarité, actions (blocages, cyberattaques,...) contre les ambassades de la Turquie ou ses entreprises.

Damien Keller

 
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