Antipatriarcat

Prison : Des revendications féministes pour l’abolition pénale




Dans ses ouvrages, Pour elles toutes : femmes contre la prison  [1] et Crimes et Peines : penser l’abolitionnisme pénal  [2], la sociologue Gwenola Ricordeau s’en prend à l’ensemble du système pénal et carcéral et propose une réflexion féministe sur ces questions. Réflexions sur l’abolition pénale.

En prison, les femmes ou perçues comme telles assurent à l’extérieur la solidarité matérielle et émotionnelle nécessaire à la survie des détenues à l’intérieur, en majorité des hommes. Incarcérées, les femmes sont moins soutenues que les hommes, et ce soutien est essentiellement féminin. Elles sont davantage abandonnées par leurs compagnons, de fait leurs enfants sont plus enclin à leur être retirés.

Pourquoi défendre l’abolitionnisme pénal

La prison appauvrit les proches de détenues. Les familles dépensent en moyenne 200 euros par mois pour rendre les conditions de vie des détenues plus acceptables  : TV, kit d’hygiène, produits alimentaires, cigarettes. À cela s’ajoutent les coûts et le temps nécessaires pour rendre visite aux détenues, ainsi que les dépenses et les risques pris pour répondre aux différentes addictions.

La prison sous-traite la résolution des problèmes sans permettre une prise en charge collective. Elle participe au contrôle des classes populaires et des personnes racisées. En fonction de l’origine ethnique, de la classe sociale, du genre ou de la profession des personnes jugées, les risques de poursuites et de condamnation varient énormément. Les femmes sont davantage criminalisées lorsqu’elles sont ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. En 2010 on évaluait que 13 à 15 % des mineures confrontées au système judiciaire sont des personnes LGBTI  [3] (estimées entre 5 et 7 % de la population).

Aux États-Unis, le stéréotype de la lesbienne agressive contribue, selon Estelle Freedman  [4], à un risque supérieur de condamnation à la peine capitale par rapport aux femmes hétérosexuelles pour les mêmes faits.

En France, en 2014, pour un nombre de viols et tentatives de viol estimé au minimum à 84 000, 5 588 plaintes ont été déposées et seulement 1 318 condamnations  [5]. Seulement 1 % des viols et agressions sexuelles sont suivis de condamnation. La justice pénale n’est pas la réponse pour protéger les victimes qui ne se sentent pas suffisamment soutenues pour passer par le processus long et douloureux du dépôt de plainte. Quant aux prétendus «  gardiens de la paix  » qui recueillent les plaintes et sont chargés des enquêtes, il faut savoir que 9,5 % des appels passés au 3919 le sont par des conjointes et ex-conjointes de policiers  [6].

Par ailleurs, la forme du procès pénal encourage les victimes à exagérer ou amplifier leur situation de «  victime  » et leurs souffrances. Si elles ne le font pas, leur parole est remise en question et leur attitude pointée du doigt (comme l’ont montré les multiples articles de presse revenant sur le passé trouble des victimes de viols). Ce qui encourage les agresseurs à se déclarer innocents et à user de tous les moyens offerts par les droits de la défense, plutôt qu’assumer leurs actes et s’en excuser auprès de la victime.

Sexisme et transphobie

Jennifer est une femme trans, militante «  pute et queer  », placée en détention à Toulouse  [7]. Elle a été jugée pour tentative d’homicide contre l’homme qui l’avait violée quelques jours avant.

Détenue en préventive dans une prison pour hommes, Jennifer a été placée en isolement, sans contact social hormis les matons et les parloirs. La mise en isolement signifie non seulement l’absence d’interactions sociales, mais aussi l’absence d’accès au téléphone, aux formations professionnelles, aux médicaments et au travail.

En prison, elle a subit sexisme et transphobie : mégenrage quotidien, fouille effectuée par des hommes et accès au maquillage refusé. Ses proches transgenres ont difficilement accédé aux parloirs, jusqu’à sept mois d’attente. En avril 2020, Jennifer est transférée dans une maison d’arrêt pour femmes. Toujours à l’isolement, elle peut néanmoins participer aux promenades et activités avec les autres détenues.

Cependant sa situation risque de changer  : les surveillantes de prison ont demandé à ce qu’elle soit transférée à la prison pour hommes de Fleury-Mérogis dans un quartier spécialisé pour les personnes transgenres. Les femmes transgenres y sont à l’isolement, et n’ont accès qu’aux activités organisées par le PASTT (Prévention action santé travail pour les transgenres). Ce transfert dégraderait ses conditions d’enfermement et l’éloignerait de ses proches, situées à Toulouse. D’après une estimation datant de juin 2019 réalisée par IPJ News, 100 à 200 personnes transgenres seraient incarcérées en France.

La justice transformative décrite par Ruth Morris, légaliste américaine, classe les besoins des victimes en cinq catégories : obtenir des réponses à leurs questions sur les faits, voir leur préjudice être reconnu, être en sécurité, obtenir réparation, pouvoir donner un sens à ce qu’elles ont subi.

Les victimes ne demandent donc pas à ce que leurs agresseuses et agresseurs se retrouvent en prison, mais demandent à ce que leurs besoins en tant que victimes soient pris en compte, ce que la justice pénale ne permet pas, contrairement à la justice transformative qui place au centre les besoins et attentes des victimes.
Selon le sociologue norvégien Nils Christi, une grande distance sociale permet la commission des crimes les plus graves. C’est pourquoi il a plaidé en faveur du renforcement des liens sociaux au sein de communautés plus étroites.

Prendre en compte l’intérêt des victimes

Ces deux auteures montrent qu’il existe un lien très faible en¬tre les niveaux de criminalité et d’incarcération. Les politiques sécuritaires ne sont pas des réponses à la criminalité, celles-ci ne sont qu’un prétexte pour les justifier. Nils Christi propose dans ses travaux que les conflits deviennent l’affaire de «  tribunaux  », composés de «  non professionnelles  », qui se focaliseraient sur l’intérêt des victimes et non sur la punition des auteures, comme dans le procès pénal.

Défendons l’abolitionnisme pénal, pour la fin des politiques de détention qui punissent toujours en priorité les personnes précarisées et marginalisées. Le système pénal ne prend pas en compte le besoin des victimes – notamment lorsqu’il s’agit de viols ou d’agressions sexuelles alors qu’il y a tant d’autres moyens possibles de réagir à ces situations. La justice pénale n’empêche pas la récidive. Le crime n’a pas de réalité ontologique  : il n’est pas un objet, mais le produit de la politique pénale.

Luz et Rapha (UCL Toulouse et alentours)

Logo : Rini Templeton

[1Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes : Femmes contre la prison  !, Lux Canada, 2019.

[2Gwenola Ricordeau, Crimes et Peines. Penser l’abolitionnisme pénal, éditions Grevis, 2021.

[3Angela Irvine, We’ve Had Three of Them : Addressing the Invisibility of Lesbian, Gay, Bisexual, and Gender Nonconforming Youths in the Juvenile Justice System, Columbia Journal of Gender and Law, 2010.

[4Estelle Freedman, The Prison Lesbian. Race, Class and the Construction of the Agressive Female Homosexual, Feminist Studies, 1996.

[5Alice Debauche et al.,Enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, Paris INED, 2017.

[6Alizé Bernard et Sophie Boutboul, Silence, on cogne : enquête sur les violences conjugales subies par des femmes de gendarmes et de policiers, Grasset, 2019.

[7Un comité de soutien aide Jennifer à subvenir à ses besoins au sein de la prison mais aussi à couvrir ses frais juridiques.

 
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