syndicalisme

Entreprise : Cynisme du « développement personnel »




Les nouvelles techniques de management prétendent se soucier du bien-être des salarié.es. Mais il s’agit en réalité de renforcer notre dépendance à un système déshumanisant, en tentant de nous empêcher de prendre conscience de l’aliénation dont nous sommes victimes. Analyse.

Il n’y a pas plus pernicieux que le développement personnel en entreprise (enfonçons des portes ouvertes !). Sous prétexte de se préoccuper, de façon bienveillante, de la santé psychique des employé.es, on ne cherche en fait qu’à les rendre plus productifs, efficaces, compétents, cyniquement et pragmatiquement parlant (idéologie du rendement).

De façon plus générale, tout discours massivement diffusé promouvant le bien-être, l’épanouissement personnel, dans les conditions modernes de production, promeut implicitement le bien-être du travailleur dans la chaîne de production, et du consommateur hébété dans la consommation ou les loisirs : ce qui est présenté comme une libération est ce par quoi notre dépendance à l’égard d’un système profondément aliénant s’accroît. C’est d’un cynisme de suprême degré (toute la publicité également est fondée sur cette profonde hypocrisie. le développement personnel entendu en ce sens n’étant pas autre chose que le discours publicitaire transposé dans le cadre d’une « sagesse » de vie).

Consolider les chaînes

Si vous « guérissez » les maux du ou de la salarié.e, mais que le salariat en entreprise est en lui-même le contraire de l’épanouissement, alors vous aurez appris aux salarié.es à se donner à eux-mêmes l’illusion d’un épanouissement dans le cadre où précisément tout épanouissement authentique est impossible : vous aurez donc simplement consolidé ses chaînes (et passerez en plus pour un bienfaiteur de l’humanité !).

Le fait de rendre plus vivable une situation proprement déshumanisante revient en fait à rendre plus vivable la déshumanisation en soi, alors qu’il faudrait précisément que celle-ci soit davantage vécue dans sa dimension invivable pour que son scandale apparaisse, et pour que les moyens de son abolition soient mobilisés (pour qu’en somme nous nous humanisions réellement, d’abord dans la lutte, au lieu d’apprendre à encaisser l’aliénation, à l’occulter, à l’oublier, à ne même plus l’apercevoir).

Quant au développement personnel s’adressant aux chefs d’entreprise, il a le mérite de moins dissimuler ses finalités cyniques (l’efficacité, la compétence, etc.). Car qui se soucie du « bonheur » d’un chef d’entreprise ? C’est son aptitude à maîtriser une certaine rationalité instrumentale qui doit prévaloir. Ainsi, il est intéressant de voir de quelle manière se « développe » le développement personnel lorsqu’il s’adresse aux dirigeants : il est un moyen désormais explicite de consolider les rouages d’un système économique.



Le ou la salarié.e qui se sera intéressé.e à ce fait, lorsqu’il ou elle sera confronté.e à son tour à des stratégies de management mobilisant ce genre de « pensée positive », sera peut-être moins dupe : le mot « personnel » n’étant donc que l’alibi permettant d’affermir l’idéologie du « développement » (mais d’un développement abstrait, quantitativement appréhendé, vide de toute qualité positive, soumis à une logique aveugle d’accumulation et de profits).

Dans cette même perspective se laisse envisager une certaine façon de penser la psychologie sociale dans un sens restreint, et dans un sens plus large.

À dire vrai, un psychologue social au sens restreint, c’est-à-dire dans les conditions actuelles, exerce une activité directement politique, mais dont il ne thématise pas la dimension politique (d’où le caractère idéologique de ses prescriptions normatives). Il incitera le plus souvent le travailleur ou la travailleuse en souffrance à se soigner pour alors mieux s’intégrer à l’avenir dans la sphère qui précisément l’a rendu.e malade ; mais alors il soigne les symptômes, et ne s’en prendra jamais à la racine du mal (tout comportementalisme en général, d’ailleurs, relève de cette mécanique qui règle les problèmes en superficie pour mieux réguler une machinerie dont il renforce les fondements absurdes et aberrants : tout comportementalisme aujourd’hui est un organe du pouvoir).

Situation insupportable

Une psychologie sociale en un sens plus large, qui serait cohérente, se devrait d’être révolutionnaire, et d’éviter à tout prix de servir les intérêts des entreprises (sans quoi elle accroît le mal qu’elle prétend guérir).

Il me semble qu’une personne « saine », sensible, réceptive, dans notre société du rendement, de la rentabilité, de la compétence, est celle qui, plongée dans le monde de l’entreprise, ou même du salariat en général, jugera la situation insupportable, et craquera : celle-là, paradoxalement, est en bonne santé « psychique » (elle ne tolère pas la déshumanisation). A contrario, une personne pleinement épanouie dans ce milieu, persuadée de servir ses intérêts les plus propres ainsi que ceux de la société tout entière, celle-là aura tendance à effrayer, et elle ne saurait être saine : elle tolère l’intolérable, le devenir-quantité de l’humain, son devenir-abstrait, et elle en fait même la condition de son « bonheur », de son « confort ».

Tout « développement personnel », toute « psychologie sociale », voire toute « direction des ressources humaines » visant la guérison du mal-être attaché au salariat afin de réintégrer le ou la salarié.e dans le salariat, refusera de voir ce qu’il y a de sain chez celui ou celle qui craque et tentera de le ramener à l’état fondamentalement maladif, insensible, non-réceptif, passif, déshumanisé, du deuxième type d’individus dont je viens de parler. C’est ainsi que ces démarches « thérapeutiques » entretiennent les pathologies du social en supprimant certains comportements dits « déviants » qui sont pourtant des appels à l’aide au potentiel subversif extrême (potentiel d’assainissement pour ainsi dire).

Être psychologue social de façon authentique, ce serait prendre en charge ces salarié.es souffrants et leur révéler leur potentiel subversif, afin qu’ils œuvrent pour elles et eux-mêmes, au sein d’une lutte visant l’abolition de leur condition de salarié.e, plutôt que de faire en sorte qu’ils et elles se sentent plus libres dans le salariat (absurdité contradictoire).

C’est leur permettre dès lors de promouvoir une autre société, de s’engager dans une lutte politique et sociale susceptible de libérer tous les individus à l’égard de ce qui les a fait plonger profondément dans la souffrance.

Benoît (AL Montpellier)


en complément, n’hésitez pas a regarder la seconde partie du documentaire "la mise à mort du travail", traitant notamment du management.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut