Espagne : Comment elles ont réussi la grève des femmes




Cette année, la journée du 8 mars a été particulièrement suivie avec des millions de femmes en grève et manifestant. Retour sur le contexte, les dynamiques et le déroulé de cette mobilisation par des militantes de la CGT espagnole.

Des sources comme l’Institut national de la statistique espagnole (INE) et le ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale espagnole (Ministerio de Empleo y Seguridad Social) montrent bien la situation réelle en Espagne autour des inégalités hommes-femmes  : le salaire moyen annuel des travailleuses est 23 % plus bas que celui des hommes  ; 26,6 % des femmes employées avec un enfant ont un contrat de travail à temps partiel contre 5,7 % des hommes, et 97,3 % des personnes occupant un contrat a temps partiel pour s’occuper des enfants de moins de 14 ans sont des femmes. Dans les grandes entreprises, les échelons les plus bas sont occupés par des femmes, et seulement 20 % des postes à responsabilité leur sont accessibles. Plus d’un million de femmes ont déclaré avoir déjà souffert de harcèlement au travail.

Concernant la pension de retraite du régime général, la proportion de femmes y ayant accès est presque deux fois moins importante que pour les hommes. Le montant moyen de la retraite pour un homme est de 1 188 euros, pendant que celui des femmes ce situe à 733 euros. Le travail domestique non rémunéré représente 32,4 % du PIB au Pays Basque, et 23,5 % en Catalogne. Ces situations devaient être l’objet de régularisations par l’application des «  mesures pour l’égalité  » (Planes de Igualdad), dont l’adoption et le développement sont obligatoires pour les entreprises de plus de 250 travailleuses et travailleurs Cependant, le gouvernement n’a mis en œuvre aucun contrôle de ces mesures, et a reconnu qu’il n’avait pas d’information sur le nombre d’entreprises espagnoles avec plus de 250 salarié-es les ayant adoptées. Malgré leur caractère obligatoire, il n’existe donc aucune donnée autour des mesures pour l’égalité à l’INE.

Les antécédents de cette mobilisation

En janvier 2017, nous avons reçu un appel à mobilisation internationale de nos camarades d’Argentine, qui a travers les mobilisations Ni una menos contre les asesinatos machistas (contre les féminicides), avaient organisé en 2016 une marche nationale de millions de femmes. Cet appel à une «  grève des femmes  » s’est joint à la Marche des femmes à Washington (Women’s March on Washington), en réaction à l’élection du président Donald Trump, et à sa politique réactionnaire, raciste, machiste, libérale et belliqueuse... Cependant, en Espagne, les mécanismes internes et le temps de réponse au niveau syndical n’ont pas permis de développer une mobilisation de grande ampleur cette année-là... Depuis le 9 mars 2017, nous avons donc commencé à nous réunir au niveau local et provincial pour organiser notre mobilisation féministe en 2018, sur la base de jours de grève et de manifestations de grande ampleur dans les rues. Ce afin d’exiger l’égalité effective entre les femmes et les hommes, la fin des assassinats machistes, de la violence sexuelle, de l’écart salarial et de toutes les autres inégalités dont souffrent les femmes. Tout au long de l’année 2018, en plus de nous organiser sur des bases féministes, nous avons essayé de rassembler les collectifs, les organisations, et toutes les femmes souhaitant participer. Des commissions se sont formées, qui ont élaboré du matériel militant et préparé des rencontres nationales. Ces dernières ont permis de décider des axes d’une grève féministe, étudiante, du travail domestique et de la consommation.

Au sein de notre syndicat la CGT, c’est en tant qu’anarcho-syndicalistes que nous avons participé aux mouvements sociaux  ; à partir du 8 mars 2017, nous avons vu clairement la nécessité de soutenir et d’appuyer cette mobilisation et son processus. La CGT a donc promu un argumentaire pour revendiquer la grève générale pour le 8 mars 2018. Ces raisons se sont ajoutées aux revendications pour l’amélioration des conditions de travail des femmes et la fin des inégalités salariales et sociales.

Développement et revendications

Quand, en janvier 2018, une partie du mouvement féministe espagnol a lancé un appel à la grève unitaire, le gouvernement et les syndicats majoritaires ont répondu rapidement que ce n’était pas le moment de parler d’inégalité salariale. Selon eux, si pour un travail égal les femmes sont moins payées et si nous touchons moins de retraite, c’est parce que nous sommes moins bien formées et parce que nous ne voulons pas travailler. De plus, pour ces personnes, si nous appelions à une grève générale de 24 heures, la précarité de l’emploi ne permettrait pas à beaucoup de personnes d’y participer, et que ces dernières «  pourraient le payer  ». Ainsi, le mieux pour visibiliser les inégalités seraient de continuer avec des grèves partielles plutôt que seulement une grève de femme…

Pour finir nous avons reçu de la part des médias de masse, des partis politiques et des syndicats majoritaires, ce que nous en attendions, une manipulation démobilisatrice en place de soutien des demandes justes des féministes.

Des réponses à la hauteur du système patriarcal

Un argumentaire a donc été produit pour réexpliquer l’intérêt d’une grève générale de 24 heures, plutôt qu’une de 4 heures, ce qui a été proposé par certains syndicats. Que ces derniers ignorent les revendications féministes nous est apparu inacceptable. Est-ce que les femmes peuvent arrêter d’être des femmes une heure par jour  ? Est-ce qu’il leur parait possible de se mettre en grève pour faire front contre le patriarcat quelques heures, de faire cesser l’exploitation et les violences en seulement 4 heures  ?

En premier lieu, le jour du 8 mars, la mobilisation dans tout le pays a été historique. Plus de 6 millions de personnes ont fait la grève du travail, mais beaucoup ont également participé à la grève étudiante, domestique et de la consommation. Dans quelques villes comme Madrid, Barcelone et Bilbao, la concentration et les manifestations étaient supérieures au million de personnes.

Mais plus important que les chiffres, le processus de développement de cette mobilisation, comme la grève générale du 8 mars à proprement parler, a eu du succès dans différents domaines.

En premier lieu, parce que le développement des structures de coordination horizontale, les assemblées, et la libre association de femmes et de collectifs, ne se sont pas limités à quelques mois de préparation pour les manifestations annuelles sur l’avortement, contre les violences machistes ou pour le 8 mars. Ces structures deviennent permanentes, réactives toute l’année, accueillant toujours plus de femmes, et fonctionnant de façon autogérée. En exemple, nous pouvons citer un regroupement de plus de 7 000 femmes journalistes, qui continuent d’identifier et de dénoncer les violences machistes dans les medias, après avoir relayé et affiché leur soutien à la mobilisation du 8 mars. Ensuite, cela a permis de visibiliser dans l’opinion publique durant quelques mois de véritables exigences féministes. Des débats ont été lancés, des vocabulaires ont pu se diffuser progressivement, des expériences ont été partagées... Un point aussi très important est que la mobilisation sociale s’est menée dans les quartiers, dans les banlieues et dans les villages. Elle n’a pas été une mobilisation issue et impulsée par de grandes centrales syndicales ou de mouvements et groupes politiques identifiés. C’est une mobilisation globale, qui se place dans un contexte international. Enfin, en tant que femmes, nous avons été en première ligne de l’action sociale et syndicale  ; cela nous a amener à perdre nos craintes, en acquérant de l’expérience et en se faisant confiance pour parler à la première personne, pour nous-mêmes, ensemble. Nous avons pu convenir de notre propre agenda, de notre temps, de nos actions.

La récente réponse officielle du gouvernement lors de la présentation du budget général de l’État rend encore plus valide nos propres exigences. Pour tenter d’étouffer la mobilisation montante, ils avaient signé en septembre 2017 un pacte national contre la violence de genre, avec un budget annuel très en dessous du montant nécessaire chiffré par la commission parlementaire. Pour le budget de 2018 ils ont largement limité cette ligne budgétaire, en dépit de la mobilisation de millions de personnes qui s’étaient jointes au 8 mars.

Des résultats historiques…

D’autre part, les médias de communication continuent de montrer une image sexualisée des femmes, et ainsi encourager et légitimer la violence sexuelle et machiste, qui n’a pas diminué en ce début d’année 2018.

En opposition avec les lois pour l’égalité et la coéducation qui existent en Espagne, la justice patriarcale a ratifié récemment l’éducation ségrégative, subventionnée grâce à l’argent public, dans les établissements éducatifs publics.

Ainsi, un mois après la mobilisation populaire et massive du 8 mars, les revendications et exigences féministes sont toujours autant d’actualité. Notre mobilisation en face ne pourra que l’être aussi !

Des camarades de la CGT espagnole

Traduction : Lisa et Adrien

 
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