Géothermie profonde : Un peu de chaleur, beaucoup de profits




Après les gaz de schiste, une des nouvelles lubies de la « tran­sition énergétique » du capitalisme semble être la géothermie profonde (GP). Locale, performante, renouvelable et surtout continue, ce qui promet un coût énergétique stable, tous les atouts sont du côté de cette technologie. Mais c’est sans tenir compte de l’incroyable complexité de sa mise en place, de son utilisation, et de son accaparement par des entreprises qui ­s’imaginent déjà en futur géant mondial de l’énergie.

Les directives européennes en termes de réduction de gaz à effet de serre prévoient d’inclure 23 % de renouvelables dans le mixe énergétique d’ici 2030. Là dedans l’état français veut être « exemplaire » et préparer un mix à 20 % dès 2020, présenté cet hiver à la COP 21 (conférence des Nations Unies sur le climat à Paris en décembre 2015).
Cette envolée de belles intentions cache mal une réelle volonté de conquérir des marchés de technologie de pointe, où la France a encore les outils pour se battre à l’international. C’est ainsi qu’après deux dizaines de sommets internationaux infructueux en termes de climat ou d’environnement, des États présentent leurs « entreprises innovantes » prêtes à conquérir les marchés de l’énergie sans avoir jamais résolu un seul problème.

À boire et déboires

Dans le cas de la GP, quelques entreprises mènent la danse et l’État suit. Forte du puissant fonds d’investissement Eurazeo dans son portefeuille, la société Fonroche compte bien se tailler la part du lion sur le marché hexagonal, et même mondial dans les décennies à venir. Détentrice de six permis exclusifs de forage sur les huit français, cette société a l’intention d’accaparer les site propices à la technologie. Sa position de pionnier lui permet de négocier des quasi-monopoles territoriaux dans le secteur, dans divers États d’Europe, mais aussi d’ailleurs (Australie...).

La GP est une énergie très locale, puisqu’il s’agit d’exploiter à des endroit précis du territoire des sources de chaleur au-delà de 3000 mètres de profondeur, proche du socle de la roche mère. On espère, à ces endroits, trouver de l’eau (ou fluide géothermal) à 150° C directement réutilisable dans les réseaux de chaleur des bâtiments d’une cité.

Outre la difficulté de localisation et les possibles échecs lors de découverte de site moins rentables qu’espéré une fois le forage réalisé, cette technologie provoque divers désagréments pour les riverains.

Cette « méthode douce » d’extraction du fluide vise à « nettoyer » les failles naturelles en injectant de l’eau à une pression réduite de 100 bars, ce qui constitue une stimulation hydraulique, par comparaison avec la fracturation hydraulique, utilisée pour le gaz de schiste, qui se fait à plus de 300 bars. Ceci n’exclut pas qu’un exploitant en mal de fluide pousse un peu la manette et provoque ainsi des micro-séismes fragilisant la roche jusqu’aux habitations.

D’autres inconvénients s’ajoutent encore. Des adjuvants chimiques sont introduits dans le sous-sol via les conduites qui peuvent devenir poreuses, entraînant ainsi un risque de pollution des nappes phréatiques. Si le forage s’avère trop peu rentable, l’État assure les industriels grâce à un fonds Geodeep doté de 50 millions, mais par contre les centrales ne sont pas assurées pour les risques qu’elles font encourir à la population.

Le potentiel du sous-sol étant inconnu, on ne connaît pas encore la quantité d’énergie disponible. En tout cas, les centrales sont prévues pour fonctionner trente ans, loin des centaines d’années nécessaires pour qu’une source d’énergie puisse être considérée comme « renouvelable ». Et que faire de la chaleur produite en été ? Entre les connaissances floues et la technologie expérimentale, l’exploitation industrielle paraît prématurée.

Strasbourg, écocité exemplaire

Encore bien plus forte que le gouvernement, la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) a décidé de se mettre à table dès 2010 et prévoit un développement à 30 % d’énergies renouvelables d’ici 2020. Le chauffage prend ici une place prépondérante, avec plusieurs projets phares : raccord au réseau de l’incinérateur à déchets produisant de la chaleur pour le Neuhof et la Meinau, nouvelle chaudière à bois du Wacken, méthanisation des eaux usées. Ces trois sites sont confiés à des exploitants privés.

Le gros morceau de l’enveloppe transition énergétique reviendrait cependant à la GP. Fonroche, détentrice du permis de Strasbourg, un quasi-monopole territorial de 417 km² veut construire un cluster (grappe) de centrales visant à produire 80 % de la chaleur urbaine. Bien sûr avec le soutien de fonds publics, par le biais de l’Ademe [1]
, de l’université (et sa nouvelle chaire de géothermie industrielle), de l’Europe (le programme NER 300). Ces centrales seront les premières de ce type installées dans le monde.

Luttes et future centrale à Vendenheim

Plusieurs projets sont déjà contestés en Allemagne, et un à Strasbourg : celui de la Robertsau. Ces luttes réussissent pour l’instant à mettre à mal les projets, site par site. Les associations de résidents et résidentes se parlent et les élus reculent, ou font mine de reculer.

Un des points majeurs sur lesquels les habitants et habitantes de la Robertsau sont en train de gagner est la localisation de la centrale sur un site Seveso, en plein cœur du port aux pétroles, avec des craintes d’explosion et d’un geyser de vapeur dans le bazar. Quand la société Fonroche répond « qu’il n’y a pas d’autre foncier libre », cela veut dire que le site n’est pas choisi pour son emplacement judicieux, mais par rapport aux capacités territoriales de la ville.

Et quand Fonroche projette une autre centrale à Vendenheim, à plusieurs kilomètres de l’endroit visé au départ, c’est sur un site acquis par... Eurazeo. Un site stratégique pour le futur développement de la CUS, mais qui a plus à voir avec le foncier qu’avec le sous-sol. Placé à 200 mètres des habitations et à côté d’un site de stockage de pétrole, certains riverains commencent à s’unir. Mais Fonroche a désormais un con­tre argumentaire bien rodé et fait valoir son expertise quand il y a des conflits.

Ces luttes restent limitées à chaque ville ou village concerné et se coordonnent encore peu. Elles restent aussi centrées sur les nuisances et les risques de cette technologie, sans aborder l’arnaque que constituent ces « technologie vertes » qui ne servent que les rêves de profits de quelques patrons.

Jean André (AL Gard)

[1Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

 
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