Yannis Androulidakis (anarcho-syndicaliste grec) : « La politique ne change pas par les gouvernements »




Yannis Androulidakis, de l’Initiative anarcho-syndicaliste Rocinante, nous parle de la situation politique et sociale en Grèce, du gouvernement Syriza et de l’état du mouvement social et libertaire grec.

Quel est le climat politique général depuis l’élection de Syriza, quelles mesures ont été prises et comment qualifier leur politique ?

Yannis Androulidakis : Au tout début, nous avons assisté à une grande montée d’enthousiasme d’une partie de la société, mais cela se fondait surtout sur la défaite de l’odieux gouvernement Samaras (coalition d’union nationale droite/socialistes) et de quelques actions de communications spectaculaires de la part du ministre des Finances Yannis Varoufakis.

Mais cela n’a pris que quelques semaines pour vérifier que la politique ne change pas par les gouvernements.

Dès l’accord du 20 février conclu avec l’Eurogroupe, la coalition gouvernementale a accepté la prolongation du programme d’austérité. Les anciens cadres dirigeants de droite et socialistes reprennent leurs places dans l’appareil d’État et Syriza a bel et bien abandonné son « programme de Salonique », dit de « salut social » qui n’était déjà rien de plus qu’une aspirine contre le cancer.

Les assassinats de réfugiés continuent aux frontières et aucune des mesures d’austérité du précédent gouvernement n’a été retirée.

Peut-on parler d’un renoncement de Syriza depuis son arrivée au pouvoir par rapport à son programme électoral ?

Yannis Androulidakis : Tout à fait. Mais il faut dire que Syriza avait déjà renoncé après les élections de 2012, quant il est passé de 4,5% a 27% des voix. Le slogan « Aucun sacrifice pour l’euro » a été abandonné et tout son discours a visé à l’entente avec les partenaires de l’Union européenne.

Pour notre part nous avions dit que le renversement social ne viendrait pas de quelque gouvernement que ce soit, et qu’il ne fallait compter que sur nos luttes. Ce n’est pas une question de bonne ou de mauvaise foi des gouvernants, c’est la structure même d’une société fondée sur la domination capitaliste.

C’est la classe ouvrière organisée et en lutte qui peut transformer les rapports sociaux et non pas la politique d’État qui reste toujours, par nature, un outil du capital.

Comment analyser les « négociations » avec les institutions européennes ?

Yannis Androulidakis : Toute négociation est un rapport de forces et pose la question de qui négocie avec qui. Le gouvernement grec avait une stratégie naïve. Il pensait qu’en lançant la menace « nous ne voulons plus de votre argent et nous sommes prêts à nous en passer », il pourrait assurer un compromis.

Mais la politique de l’UE n’est pas fondée sur la circulation monétaire, c’est une politique de classe. Voilà pourquoi ce n’est pas Varoufakis qui peut négocier efficacement avec l’UE, mais les travailleurs eux-mêmes. Et cette négociation, il faut la faire dans la rue, dans la perspective d’une grève générale qui pourrait vraiment changer les rapports de forces. Sans cette pression réelle, le gouvernement grec est condamné à la poursuite du pillage.

Et c’est ce qui se passe : nous allons vers un troisième mémorandum, qui sera une humiliation totale pour Syriza. Mais ce sera surtout, la destruction finale de la société grecque et surtout de la classe ouvrière.

Quelle est l’attitude du syndicalisme institutionnel et du syndicalisme de lutte ?

Yannis Androulidakis : Le syndicalisme institutionnel en Grèce est une vielle histoire de corruption, de soumission et d’étatisme. La destruction de l’appareil du Parti socialiste (Pasok), tant sur le plan politique que syndical, a laissé un vaste champ libre pour une sorte de syndicalisme corporatiste égaré.

Mais la défaite du syndicalisme institutionnel pendant la période 2009-2012 a été si spectaculaire qu’il n’a plus vraiment de poids dans la classe ouvrière, y compris parmi les 30% de chômeurs. En ce qui concerne le syndicalisme de lutte, il a lui aussi été battu pendant cette période, en se liant aux déviations interclassistes et « populistes » qui ont dominé un moment dans le mouvement social.

Actuellement le mouvement syndical est presque un désert, mais presque seulement. Les expériences et les structures conquises dans la période 2009-2012 (dont, notre organisation Initiative anarchosyndicaliste Rocinante), sont bien vivantes et capables de retrouver leur vitalité.

Quelles luttes (ouvrières, politiques et sociales) sont actuellement menées en Grèce ?

Yannis Androulidakis : La victoire de Syriza a donné lieu à une trêve sociale qui a fait suite à la « grande dépression » du mouvement ouvrier après les élections de 2012. Mais nous sommes en train de dépasser cette catastrophe. Il y a déjà eu une première grève dans la santé et des préparatifs sont en cours dans l’éducation. Une bonne partie de secteurs qui vont subir les « privatisations à la gauche » comme les travailleurs des ports et de l’électricité pourraient également rentrer en lutte prochainement. Enfin, les luttes pour les droits des immigrés, toujours assassinés et torturés aux frontières grecques, sont vivaces.

Le point sur les réactions de l’extrême gauche (hors et à l’intérieur de Syriza), du mouvement anarchiste ?

Yannis Androulidakis : Nous sommes en train de sortir d’une période de confusion totale. Antarsya, la principale structure d’extrême gauche est dans une phase d’« autisme » assez décevante. Tout son discours se base sur la nécessité de sortir de l’euro et de retourner à la drachme.

Bien sûr nous ne soutenons pas l’euro. Mais l’opposition à l’euro doit être le résultat d’une stratégie de mobilisation sociale et pas un principe politique. Et la mobilisation sociale est quelque chose de bien différents de la pêche aux électeurs de Syriza déçus, sous la bannière du cours de la monnaie. Ce recours au patriotisme économique n’a rien de radical. À l’intérieur de Syriza, le même discours existe et produit la même impasse.

Le mouvement anarchiste se limite souvent aux actions violentes – même s’il y a un recul de la violence aveugle – pour prouver qu’il n’est pas favorable a Syriza. On est loin d’une stratégie sociale.

La politique, les actions et le développement de Rocinante en particulier ?

Yannis Androulidakis : Après une première période de fort développement nous sommes à un stade de stabilisation. Nous sommes présents dans les principales régions : Athènes, Salonique, Patras, Crète, Volos, etc. Nous sommes implantés dans plusieurs secteurs professionnels : l’éducation, les médias, la construction et la santé. Nous sommes aussi très actifs dans la lutte antiraciste.

Évidemment nous sommes loin de nos objectifs : nous ne sommes pas plus que 150 travailleurs dans un pays de 10 millions d’habitants. Notre stratégie actuelle porte sur la création d’un front ouvrier qui doit fédérer autant les syndicats de lutte que les structures de classe (centre de lutte, comités de grèves, cercles ouvriers etc.), qui constituerait l’alternative à cette politique.

Nous n’abandonnons pas nos efforts pour la création d’une confédération syndicale anticapitaliste, qui regrouperait toutes les tendances syndicales de ce type.

Un point sur l’extrême droite dans ce contexte ?

Yannis Androulidakis : Aube Dorée a pris un coup réel après l’assassinat du militant antifasciste Pavlos Fyssas en septembre 2013. Le procès contre les leaders nazis pourrait détruire tout son appareil.

Mais nous savons bien que ce n’est pas par la justice que l’on va se débarrasser du péril fasciste dans la société. C’est un enjeu pour les syndicats : il faut à la fois combattre le fascisme et syndiquer les travailleurs immigrés. Les idées d’Aube dorée sont bien là, même si sa force organisationnelle est affaiblie.

Et comme le disait un ancien militant libertaire espagnol : « Nous ne combattons pas le fascisme avec le gouvernement mais malgré le gouvernement. Parce que l’on sait bien que les capitalistes se tournent vers le fascisme chaque fois que leur pouvoir est en péril. »


Propos recueillis par Clément
(AL Paris-Nord-Est)

 
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