Syndicalisme

Disneyland : Quand la grève devient magique




Si le parc à thème francilien Disneyland Paris bat tous les records de fréquentation et impose aux employées une productivité qui atteint son plus haut niveau en dégradant leurs conditions de travail, elles et ils n’ont jamais autant souffert de l’inflation. Un mouvement social inédit a fait entendre pendant tout le printemps une colère sous-jacente depuis la crise du Covid-19.

L’histoire de Disneyland Paris est complexe. Ouvert en avril 1992, le parc est un des premiers sites touristiques de France. Une entreprise employant 15 000 personnes, que l’on appelle Cast Members, originaires de 124 nationalités, parlant 20 langues différentes et exerçant 500 métiers différents. Une véritable société qui s’étend sur plus de 2000 hectares et qui en fait le premier employeur monosite de France.

Comme dans de nombreuses entreprises, le paysage syndical y est très divisé : CFDT (majoritaire), CGT, UNSA, CFTC et CFE-CGC. Parmi les autres syndicats présents, mais qui ne sont plus représentatifs, on peut également citer la CNT-SO, FO et le SNS (Syndicat national du spectacle). Une grosse défiance à l’égard de ces syndicats est souvent exprimée par les Cast Members. Comme souvent, ces derniers sont accusés, à tort comme à raison, de ne servir que leurs propres intérêts. Les critiques les plus virulentes étant pour la CFDT que l’on n’hésitera pas à appeler le Syndicat Maison.

Productivité et salariées sous pression

Car pour comprendre la crise qui secoue Disneyland Paris, il faut avant tout comprendre son fonctionnement et son histoire très particulière. Le parc est bâti sur un montage financier complexe et fragile générant de lourdes pertes financières. Le parc a longtemps été en déficit et il faudra attendre un rachat des actifs par la Walt Disney Company en 2017 pour voir les chiffres se stabiliser.

Mais depuis ses débuts, ce sont les Cast Members qui font les frais de cette mauvaise gestion. Rythme de travail très soutenu, relations difficiles avec des visiteurs qui passent leurs nerfs sur les employées en première ligne : les conditions de travail ont toujours été difficiles. On s’use à la tâche physiquement et moralement, pouvant même aller jusqu’au suicide dans certains cas. Et pourtant, on s’y plaît à travailler dans ce cadre hors du commun et hors du temps où le sourire d’un enfant rappelle à chacune pourquoi il ou elle s’y est engagée. C’est la politique de la direction qui est avant tout remise en cause.

Avec la pandémie du Covid-19, Disneyland Paris aura été fermé 322 jours entre mars 2020 et juin 2021. Une grande période d’angoisse et d’incertitude commence.

À la sortie de la crise sanitaire, la direction impose un nouveau système de planification pour une majorité des Cast Members opérationnelles travaillant sur les attractions, dans les boutiques ou dans la restauration. Baptisé « horaires choisis », il s’agit de répartir une semaine de 35 heures selon les besoins des équipes. Ainsi, une employée peut faire des journées allant de quatre à dix heures de travail. Une nouvelle instabilité qui rend encore plus difficile l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Vivement combattue par une intersyndicale composée de la CGT, l’UNSA et la CFTC, la mesure est tout de même imposée par la direction. Des premiers débrayages sont organisés par la CGT sans succès fin 2021. Le combat se déplace alors vers les tribunaux sans non plus rencontrer de victoire.

Les salariées s’organisent et lancent la grève

Alors que l’on demande aux Cast Members de multiples efforts et sacrifices, les chiffres post-pandémie n’auront jamais été aussi bons, la fréquentation connaissant une forte hausse. Mais la direction campe sur ses positions et tient à ne rien lâcher de significatif. Pire, comme dans tous les autres secteurs touristiques, les difficultés de recrutement se font ressentir. Malgré des avantages en nature intéressants, on ne peut se contenter d’un peu plus d’un Smic pour finir les fins de mois, alors que l’on exerce un emploi demandant de nombreuses compétences.

Et, alors que les syndicats répondent à l’appel national pour combattre la réforme des retraites, un autre mouvement créé sans étiquette syndicale est en train de naître chez les Cast Members.

La colère part d’abord des équipes de la maintenance, où elle est portée par des Cast Members politisées par Lutte Ouvrière. Des AG sont organisées et un comité est élu. Cette expérience de la lutte permet de mobiliser les autres secteurs pour créer le Mouvement Anti Inflation (MAI). Les revendications sont votées : 200 euros nets d’augmentation générale, l’abandon des « horaires choisis » obligatoires, le doublement des indemnités kilométriques, les dimanches payés double et une revalorisation de la prime d’ancienneté. Rapidement, le bouche à oreille fonctionne et les Cast Members échangent via un groupe Whatsapp. Une cohésion que les syndicats semblent avoir toujours rêvé sans jamais y être arrivés.

Dans un premier temps sont organisés des débrayages, ce qui permet d’annuler de nombreux spectacles et surtout la grande parade quotidienne. Avec le soutien de certains syndicats, CGT et UNSA en tête, mardi 30 mai a lieu une première grosse journée de mobilisation. Dans le calme, une moyenne de 1500 Cast Members défilent entre les attractions et les hôtels. Une majorité de visiteurs sont compréhensifs et soutiennent les revendications. Le samedi 3 juin les chiffres montent jusqu’à 2000 Cast Members. Le climat y est beaucoup plus tendu. Une sécurité privée mandatée par la direction entoure les grévistes n’hésitant pas à jouer des intimidations qui n’ont rien à envier aux méthodes des CRS.

Avec une précarité déjà très marquée et une direction qui ne lâche rien, le mouvement perd de l’ampleur et la grève a été suspendue. Les négociations annuelles obligatoires en août sont l’occasion de remettre les revendications en avant. Et si celles-ci ne sont pas entendues, nul ne doute que la colère qui s’est exprimée lors de ces six journées de mobilisation relancera le mouvement.

Les grèves et les mouvements sociaux font partie même de l’histoire de la Walt Disney Company. Chaque jour, ils et elles sont des milliers à œuvrer pour la magie, tout en tentant de survivre à un système capitaliste qui les écrase.

Tristan (UCL Montreuil)

 
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