CHSCT : On perd un point d’appui, pas notre détermination




Dans bien des entreprises, le comité hygiène-sécurité-conditions de travail (CHSCT) était devenu l’une des instances les plus utiles aux syndicalistes de lutte, comme contre-pouvoir face à l’arbitraire patronal. Avec les ordonnances Macron, il va disparaître. Mais son objet, lui, ne disparaît pas. Comment le faire vivre dans la nouvelle configuration ?

Après une mobilisation rachitique, les ordonnances sur le travail ont donc été définitivement adoptées le 14 février 2018 par un vote du Sénat. Par une véritable mise au pilon du Code du travail, le principe d’un droit à géométrie variable, adaptable à chaque entreprise, est entériné. Parmi les nouveautés, la création du comité social et économique (CES), est loin d’être un détail.

En 1982, les lois Auroux créent le comité hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT), qui devient une des instances représentatives du personnel, avec le comité d’entreprise (CE) et les délégués du personnel (DP). Si le CHSCT n’a jamais eu le pouvoir de bloquer une décision, il devait être consulté sur certains sujets, comme l’introduction de nouvelles technologies, ou un plan de licenciements. Longtemps négligé, il s’est peu à peu transformé en un lieu de contre-pouvoir, où les syndicalistes pouvaient mettre les directions face aux conséquences de leurs choix sur la santé des travailleuses et des travailleurs. Ce que le patronat n’apprécie pas du tout.

Longtemps, en particulier à la CGT, la santé a été un objet de négociation. Le travail de nuit, par exemple, a souvent été accepté, mais monnayé contre des primes ou d’autres avantages. Le mot d’ordre qui prévaut cependant aujourd’hui, pour l’ensemble des confédérations syndicales, c’est : la santé ne se négocie pas. Le droit du travail, qui fait obligation à l’employeur d’assurer la sécurité des salarié.es, a été une ressource importante dans ce combat.

Avec les ordonnances, c’est ­d’abord à une attaque en règle contre l’ensemble des représentants du personnel qu’on assiste. À l’occasion des prochaines élections professionnelles, les trois instances (CE, DP, CHSCT) vont fusionner et être remplacées par une seule : le CSE. Avec une importante réduction de moyens. Par exemple, pour une entreprise de 100 salarié.es, jusqu’à présent, il y avait 12 titulaires pour 175 heures de délégation dans l’année ; avec le CSE, on passera à 6 titulaires pour 126 heures. Là où une entreprise de plus de 50 salariés devait organiser 22 réunions par ans (12 DP, 6 CE, 4 CHSCT), elle ne devra plus en organiser que 12 pour le CSE.

La contre-expertise,ou le panier garni  ?

Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner quels sujets souffriront de ces restrictions. Quand les élu.es du CSE devront choisir entre discuter sur les embauches ou sur les conditions de travail, il y a fort à parier que les secondes passeront à la ­trappe. Il sera d’autant plus difficile pour les élu.es de se former sur les questions santé-sécurité qu’ils devront dans le même temps se positionner sur les orientations stratégiques de ­l’entreprise.

Un des coups les plus sévères, avec la disparition du CHSCT, porte sur la possibilité de mener des contre-expertises. Aujour­d’hui, avant un projet important – plusieurs suppressions de postes par exemple –, l’employeur doit consulter le CHSCT, qui peut faire appel à un expert indépendant, aux frais de l’entreprise, pour réaliser une étude. Certes, ce n’est là qu’une réponse très limitée à la possibilité pour l’employeur de se payer autant d’experts qu’il le veut pour justifier son projet. Le CSE, lui, pourra toujours faire appel à un expert… mais devra en assumer 20 % du coût. Le tout à moyens « constants », c’est-à-dire avec le budget de l’actuel CE, soit un ­faible pourcentage de la masse salariale. Cela obligera les élu.es au CSE à arbitrer entre des dépenses. Autrement dit, si le CSE est tenu par un syndicat de lutte, il n’hésitera pas à prendre dans le budget du CSE pour financer des expertises utiles à la mobilisation des salarié.es. Si, en revanche, il est tenu par un syndicat clientéliste, il préférera sans doute limiter le recours aux expertises pour payer un joli panier garni aux salarié.es juste avant les élections…

La lutte des classes se poursuit à bas bruit

Alors que faire ? L’enjeu est de sortir de la léthargie que le gouvernement a réussi à créer dans le mouvement social. Les attaques sont massives ; c’est la bonne vieille stratégie du choc, version 2.0, que nous sort Macron et sa start-up gouvernementale. La réponse appropriée passe nécessairement par une réappropriation de l’agenda social. Face à un adversaire qui bouge en permanence, il faut viser précisément et miser sur son instabilité.

Or la question de la sécurité et des conditions de travail est un point faible du patronat. C’est d’ailleurs pour cela que les CHSCT devenaient menaçants pour lui : parce qu’ils contestaient sa légitimité à organiser le travail, la manière de produire, le rythme de l’activité. C’est cette conscience qu’il faudra réinjecter demain dans les CSE, mais surtout autour d’eux.

Car après tout, le seul intérêt des instances représentatives du personnel, c’est lorsqu’elles sont utilisées comme points d’appui pour les luttes, le point de départ de conflits et de contestations. Pour faire jouer ce rôle au CSE, il faudra compter sur des structures syndicales combatives. Plus que jamais, ce sont elles qu’il faut renforcer, quitte à les bousculer là où elles ont dégénéré et ne sont plus que des agrégats de permanent.es. Si la bataille pour la défense des CHSCT est aujourd’hui perdue (sauf dans la fonction publique), il n’en reste pas moins que la lutte des classes se poursuit à bas bruit dans les bureaux et les ateliers. De ces derniers à la rue, il n’y a pourtant qu’un pas.

François Dalemer (AL Paris-Sud)


Un ersatz : la CSSCT

Au sein du comité social et économique (CSE), il pourra exister une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Celle-ci pourra être créée par un accord d’entreprise.

Elle ne sera obligatoire que dans les entreprises de plus de 300 salarié.es, sur les sites nucléaires et une partie des sites classés Seveso, c’est-à-dire présentant un risque industriel majeur. Mais elle n’aura aucun moyen d’agir par elle-même, toutes les décisions se prenant au niveau du CSE.

 
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