Rencontres : L’écologie sociale en débats




Les rencontres internationales de l’écologie sociale, qui se sont tenues à Lyon les 27, 28 et 29 mai, ont été l’occasion de partager sur les idées de Bookchin, mais aussi sur les mouvements sociaux actuels, et sur les stratégies pour un changement de système.

Organisées par les objecteurs de croissance de l’association Aderoc dans la MJC Jean-Macé et l’espace culturel et politique Grrrnd Zéro, ces rencontres ont rassemblé une centaine de militantes et militants, chevronné-e-s pour la plupart, venu-e-s d’Espagne, de Suisse, de Belgique, d’Italie, des États-Unis, d’Allemagne, de France. Elles ont traité des principaux concepts de l’écologie sociale en matière d’organisation et de pratiques politiques, d’économie (communs, propriété, démocratie, capitalisme, monnaie, etc.) et de stratégies de rupture avec le capitalisme. Il faut noter que les cultures politiques en présence étaient diverses.

Féminisme et écologie

Des féministes ont impulsé les débats et posé que l’équilibre êtres humains/nature ne se ferait pas sans égalité de sexe et de race. Remarquable également, la présence de sensibilités citoyennistes ou d’individu-e-s se cherchant du côté du mouvement Colibris (celui de Pierre Rabhi), mais dont les questionnements radicaux les ramènent aux arguments libertaires. Issus de cette diversité, voici quelques autres éléments qui ont fait consensus.

La définition de l’écologie sociale, qui désigne le courant créé par Bookchin peut néanmoins être élargie à de nombreux autres ou inversement considérée comme faisant partie d’un courant plus large, écologiste et antiautoritaire (avec Reclus, Kropotkine, Illich, Gorz, et une partie du mouvement décroissant). Le travail de diffusion réalisé entre autres par Janet Biehl (États-Unis), Vincent Gerber (Suisse) ou Floréal Roméro (Espagne), tous trois présents aux rencontres, permet de prolonger les réflexions, en les séparant de la personne parfois controversée de Bookchin. Du côté des expériences politiques proches des théories de Bookchin, l’expérience kurde du Rojava et le projet de confédéralisme démocratique du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) adopté en 2005, ont tenu une place importante : projection du film Kurdistan – La guerre des filles de Mylène Sauloy, participation de plusieurs militants kurdes. Le Chiapas, l’autre grand système alternatif actuel, a également été un centre des discussions, ainsi que les coopératives intégrales d’Espagne, qui se revendiquent du municipalisme libertaire.

La question de l’économie a fait débat, après un consensus sur la nécessaire subordination de l’économie au politique et au social. Doit-on mieux contrôler l’argent et la monnaie, ou tenter de s’en passer complètement grâce à des systèmes de troc, d’échanges de services et de libre accès ? Voilà qui rouvre la discussion sur la valeur : faut-il quantifier le travail ? En argent ? En temps ? La quantification n’est-elle pas ce qui entraîne vers la recherche de plus de productivité au détriment de la qualité du travail et des produits ?

La notion de propriété collective a ensuite été débattue, à travers les nombreux domaines qui doivent être considérés comme des communs (les ressources naturelles en général, l’alimentation, les soins, l’éducation, le logement), et dont la gestion démocratique suppose de rompre avec la propriété privée. La propriété communale, au plus près des lieux de production et de consommation, est donc adaptée, mais seulement si elle est reliée à une fédération de communes, à même d’appréhender les enjeux globaux et qui assurent la solidarité et l’égalité entre territoires.

Il existe de nombreuses formes de résistances au capitalisme. Certaines sont légales comme la récupération d’usines en coopératives ouvrières, la défense des régies municipales (de l’eau par exemple), les monnaies locales, les Amap, etc. Sans directement menacer le système, ces expériences créent ou préservent d’autres formes d’organisation, elles sensibilisent par l’exemple une certaine population encore peu encline à des actions radicales. Néanmoins, ces expériences risquent d’être récupérées ou noyées par le système marchand, telles les Amap concurrencées par La Ruche qui dit oui, forme capitaliste du concept.

Occuper, exproprier

Une autre stratégie est illégale, elle consiste à occuper des terres, des logements, des usines, c’est-à-dire à exproprier les capitalistes, et menace donc directement le système en place, d’où une ­forte répression comme à Notre-Dame-des-Landes. L’enjeu est donc de relier ces deux stratégies au maximum, de structurer des réseaux pour cela, et aussi de nourrir les alternatives concrètes d’une réflexion théorique poussée, montrant que le capitalisme n’acceptera jamais de disparaître gentiment, et qu’il y aura forcément une phase d’affrontement plus ou moins violente. À partir de ce constat, il a été proposé d’organiser une journée sur l’écologie sociale à Notre-Dame-des-Landes le 8 juillet à l’occasion du rassemblement annuel, et au printemps prochain de nouvelles rencontres internationales, très probablement à Barcelone.


Commission écologie


Prolonger la réflexion théorique

L’écologie sociale regorge d’analyses
et de propositions pour nourrir nos luttes et notre projet de société, et elle mérite d’être actualisée et enrichie au regard des deux décennies écoulées depuis les derniers écrits importants de Bookchin. D’une part, le capitalisme lui même
a évolué, avec un développement démesuré du secteur financier et la récupération des enjeux écologiques dans la fumeuse « croissance verte ». D’autre part, le mouvement actuel contre la loi travail rappelle que pour construire un mouvement social de masse
à même d’affronter
le capitalisme, il est nécessaire que les travailleurs et travailleuses se mobilisent et bloquent l’économie
par la grève. Certes le prolétariat a évolué depuis Marx, mais il reste central dans toute possibilité révolutionnaire contrairement à ce que Bookchin avait conclu après sa déception face au mouvement ouvrier. Enfin, l’aggravation de la catastrophe écologique remet en question l’émancipation par la technique – relativement élevée – qu’envisageait Bookchin, car une telle société induirait des besoins que les écosystèmes ne pourraient peut être pas supporter. Il y a donc matière à organiser d’autres rencontres !

 
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