Conditionnement sexué : Garçon ou fille, cris ou chuchotements




Observer les jeunes enfants est une expérience significative qui permet de mettre en perspective les différences de genre au regard de l’éducation différenciée des filles et des garçons. Le système patriarcal engendre sa persistance dans une société où il conditionne l’évolution des personnes en fonction de leur genre dans tous les aspects de leur vie… et même à des conférences féministes !

La féministe marxiste Silvia Federici est venue faire une conférence dans la campagne tarnaise. Ambiance feutrée, les gens s’assoient, discutent, on va chercher des chaises, on installe les enfants au fond de la salle sur des tapis de jeu. On les entend encore gesticuler : à trois ans on ne sait pas chuchoter. L’agitation bat son plein, des âmes dévouées prennent leurs responsabilités : il faut emmener les enfants dehors, ils ne goûtent guère à l’accumulation primitive, au travail domestique non interrogé par Marx mais qui permet la reproduction de la force de travail, ni au travail des femmes, nécessaire à l’établissement du capitalisme autant qu’il est ignoré. Ça y est ! On met les manteaux et on se bouscule pour sortir, on s’attrape par le pull, on pouffe de rire, ça met un peu de dérision dans cette ambiance pourtant si sérieuse.

Et puis plus un bruit, la voix de Silvia est de nouveau audible, on se laisse entraîner avec passion dans la genèse du capitalisme et l’exploitation du travail des femmes. On croirait presque que tous les enfants sont sortis. Tous ? Non, on en voit quelques uns qui restent sagement, qui savent chuchoter, qui font du coloriage. Quelques-uns ? Non, quelques-unes. Et on se rend compte que seuls des garçons sont sortis.

Beauvoir notait la précocité avec laquelle les enfants s’imprègnent de leur genre, dès la naissance leur féminité et leur masculinité sont socialement construites. Ces petites filles savaient chuchoter – gageons pourtant qu’il n’existe pas de gène du silence.

Petites filles de tous les pays, unissez-vous !

Les parents – plutôt « alter » en l’occurrence – font ce qu’ils peuvent. Mais la force du patriarcat est si grande : la différence sexuelle imprègne déjà jusqu’aux os les enfants de 3 ans. Les petits garçons ont bien compris qu’il en va de leur « virilité » de s’attraper par le col et de se bousculer. Les petites filles ont bien compris qu’il en va de leur « féminité » de bien se tenir et de chuchoter.

La même Beauvoir nous dit qu’à la question « de quel genre préférerais-tu être ? », filles et garçons répondent : un garçon... Tu m’étonnes ! La contrainte sur les corps, la docilité attendue ne sont pas les mêmes. Alors que plus grands, habitué-e-s aux réunions interminables, on est plusieurs à se demander comment faire pour qu’un tel ou un tel se taise, et qu’une telle ou une telle prenne la parole, on se dit qu’il serait bon que les petits garçons apprennent à colorier, et les petites filles à se bousculer et à s’agripper le col.

Et Silvia de citer Le Manifeste du parti communiste – le passage où Marx et Engels expliquent le bouleversement complet des valeurs concomitantes à l’émergence du capitalisme – et de s’interroger sur le fait que le patriarcat, lui, a perduré (« c’est donc que le capitalisme devait en avoir besoin »). À ce moment, une phrase résonne dans ma tête : petites filles de tous les pays, unissez-vous ! (Et montrez au monde que vous savez ne pas chuchoter...)

Bernard Gougeon (AL Tarn)

 
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