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Alors que nous célébrions cette année le 140e anniversaire du congrès antiautoritaire de Saint-Imier, acte fondateur du mouvement anarchiste, cette réédition de l’indispensable ouvrage de Marianne Enckell, un classique devenu quasiment introuvable, tombe à point afin de recontextualiser cet événement trop souvent associé au seul affrontement entre Marx et Bakounine. Derrière ces deux grandes figures historiques l’auteure nous fait revivre le récit des événements survenus au sein de l’AIT. C’est l’opposition et la fracture finalement inéluctable entre deux visions radicalement opposées de l’action politique : le centralisme et le fédéralisme. Surtout, le livre nous éclaire sur le rôle primordial de cette fédération jurassienne qui aura été la cheville ouvrière de la constitution d’un autre socialisme, fédéraliste et autogestionnaire, bref libertaire.

Pourquoi Saint-Imier ? Pourquoi en Suisse ? Est-ce l’influence du pseudo-fédéralisme helvétique ? L’auteure penche plutôt pour une explication moins romantique. L’influence de Bakounine est indéniable dans une région dans laquelle il a demeuré quelques temps et dont les conférences ont été « accueillies avec enthousiasme ». Ce sera aussi le mode de production particulier et propre à cette région, une industrie unique et un travail très parcellisé allié à une riche vie civique et culturelle. Surtout dès 1870, au sein de la Fédération romane, les débat qui agiteront l’AIT jusqu’à provoquer la rupture de 1872 ont été, comme pour une répétition avant la générale, la cause des mêmes scissions entre marxistes et bakouninistes.

Et à Saint-Imier en 1872 a lieu le congrès des antiautoritaires, car tous ne se reconnaissent pas dans l’appellation d’anarchistes. Ce congrès répond au coup de force de Marx et de ses complices qui tentent de verrouiller l’AIT depuis le congrès de la Haye, qui, outre l’exclusion de Bakounine, renforce les pouvoirs du Conseil général exilé à New-York. Le congrès propose alors au socialisme une nouvelle voie dont les libertaires d’aujourd’hui sont les héritiers : le refus du compromis d’avec la politique et les institutions bourgeoises, le fédéralisme et l’autogestion.

L’ouvrage clair et concis, très documenté, se lit d’une traite et on plonge avec bonheur aux sources du communisme libertaire. L’aventure de cet Internationale antiautoritaire aura été brève mais aura irrigué tout l’anarchisme social du XXe siècle et encore aujourd’hui nous faisons notre cette déclaration du congrès : « La destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat »

David (AL Paris Nord-Est)

Marianne Enckell, La Fédération jurassienne, Entremonde, Genève - Paris, 2012, 12 euros

 
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