Espagne : España va muy bien…




« Et l’Espagne va très bien, très bien pour ceux de toujours : pour le banquier, pour le Maire et notre Président » [2]. Écrites en 1998, ces paroles du groupe libertaire Ska-P n’en ont que plus de sens tant elles collent encore à la réalité... 14 ans plus tard.

Licenciements de masse dans le privé, réductions des emplois publics, salaires des fonctionnaires amputés, colère des Indignad@s ou des mineurs asturiens, grève violente des taxis à Madrid fin juillet, mobilisation des artistes contre la hausse de la TVA sur la culture, manifestations de rue contre les politiques d’austérité, difficultés, voire impossibilité à rembourser les prêts immobiliers et expropriations de logements qui jettent à la rue des familles entières, une jeunesse sacrifiée qui ne voit que dans l’exil, en France, en Allemagne ou en Angleterre, la possibilité de trouver du travail alors qu’elle est l’une des plus diplômées d’Europe... Le panorama social Outre-Pyrénées est alarmant. Et la situation n’est pas prête de s’améliorer…

[*« On revient en arrière »*]

Au détour de discussions avec des yay@s – ces personnes âgées ayant vécu les heures sombres du Franquisme – c’est le même refrain : « On revient en arrière ». Revenir en arrière dans la bouche d’une mamie ou d’un papy espagnol issus de la classe ouvrière est lourd de sens. C’est le retour du chômage de masse. C’est le retour à la misère et aux temps maudits de la disette. C’est le retour de la peur du lendemain. Et la réalité confirme ces peurs. Des familles cohabitent dans la même maison parce qu’il n’y a plus moyen de vivre dans des foyers autonomes. Les grands-parents côtoient sous le même toit leur fils, leur fille, leurs conjoints et les petits-enfants. Et de plus en plus souvent, c’est avec la retraite du grand-père ou de la grand-mère que toute la petite famille va chercher à survivre.

Sur la question très en vogue des expropriations, les grands groupes bancaires ibériques sont en passe de devenir les principaux propriétaires du territoire. Ce qui ne va d’ailleurs pas sans quelques contradictions pour le moins surprenantes : à force d’agrandir leur parc immobilier, les banques se retrouvent dans l’impossibilité de payer les taxes d’habitation, foncières ou les frais d’entretien de ces biens expropriés.

Par chance, le gouvernement du Président Rajoy – Parti populaire – a eu la générosité d’imposer une baisse drastique des taxes foncières. Revendication constante de toutes les associations de quartier, jamais satisfaite. Ceux et celles d’en bas n’en valaient pas la peine, l’intérêt supérieur des banques… si !

[*Retour à la terre …*]

Autre symptôme de cette Espagne en crise : le retour à la terre. Alors que dans les années 1990 et 2000, les pueblos (villages) se dépeuplaient, les jeunes rechignant à suivre la voie de leurs parents dans le travail harassant de la terre et optant pour le travail industriel. C’est le phénomène inverse aujourd’hui. Le syndicat paysan aragonais Asaja chiffre entre 15 et 20 % l’augmentation du nombre de travailleuses et travailleurs de la terre ces six derniers mois. L’explication est simple comme le note un néo-rural dans le journal El Heraldo de Aragon : « J’avais délaissé le monde rural parce que je voulais profiter de mes week-end et avoir une meilleure qualité de vie en ville. Mais maintenant je suis revenu au travail continu de sol en sol [soleil en soleil]. Le travail des champs est plus dur que la chaine de montage de General Motors mais au moins la terre me permet de vivre. Ce n’était plus le cas depuis mon licenciement ». Ce retour à la terre revitalise des villages entiers abandonnés depuis des années. Nombre de familles délogées, expulsées, s’exilent dans ces villages des Pyrénées ou d’Andalousie. Pas de loyers à payer, on redonne vie comme on peut à des vielles maisons en pierre et on vit chichement de troc et du potager familial…
Fin juillet 2012, comme chaque trimestre, le gouvernement publie les chiffres officiels du chômage. Ces chiffres sont, on le sait, tronqués des emplois précaires et du travail au noir pourtant endémique dans les secteurs agricole, touristique et du bâtiment. Le taux de chômage atteint désormais 24,6 %, soit le quart de la population active. À titre de comparaison, c’est le plus haut taux depuis 1994. Sauf qu’à cette date cela représentait 3,9 millions de personnes alors qu’aujourd’hui ce sont 5,7 millions de travailleurs qui sont concernés. Le taux de chômage des moins de 25 ans bat aussi des records. Il est aujourd’hui estimé à plus de 53 % ! Enfin, 1,8 millions de foyers comptent des adultes au chômage.

[*Quelles résistances ?*]

Dans ce contexte de décrépitude sociale, même si les dirigeants syndicaux majoritaires concèdent que la situation est « alarmante » et que les politiques et réformes du gouvernement Rajoy sont « néfastes, injustes et inefficaces », il est évident que les travailleuses et travailleurs espagnols n’ont rien à attendre des bureaucraties de syndicats institutionnels comme l’UGT et les CCOO, depuis longtemps discrédités pour avoir accompagné les réformes capitalistes et les mauvais coups des gouvernements de gauche comme de droite. Le gouvernement ne s’y trompe d’ailleurs pas. Il réprime ceux et celles qui peuvent représenter un danger en termes de mouvement de résistance. À Madrid, quelques 400 instructions judiciaires sont en cours contre des membres du mouvement du 15M – les « Indignad@s » – avec des peines d’amende allant de 300 à 30 000 euros. Au printemps dernier, c’était la secrétaire de la CGT barcelonaise, Laura Gomez, qui a échappé de peu à la prison ferme après 23 jours de détention préventive. En Andalousie, le 10 août, ce sont sept militants du syndicat SAT qui sont mis en examen suite à l’action « expropriation » du supermarché Mercadona à Ecija. Le tort de ces syndicalistes andalous : avoir forcé la sortie de trois chariots de nourriture pour les distribuer à 36 familles sans domicile.

Devant le tollé général provoqué par cette action, du PP au Parti socialiste en passant par les très « responsables » dirigeants des CCOO andalous – une pratique « indigne du mouvement syndical », disent-ils – les auteurs encourent de lourdes peines. Les meurt-de-faim ne peuvent pas se permettre n’importe quoi dans un État de droit, crient-ils à l’unisson. Cela n’intimide pas pour autant ceux et celles qui n’entendent pas se taire. La mobilisation unitaire des syndicats les plus combatifs, initiée par la CGT, anarcho-syndicaliste, continue. Cette dernière annonce dans son dernier communiqué qu’elle entend « poursuivre durant l’été 2012 la mobilisation pour dénoncer le gouvernement pro-fasciste du Parti populaire » [1] afin de construire les bases « de l’indispensable grève générale qui rendra aux exploités la liberté, la dignité, les droits et le futur »…

Jérémie Berthuin, militant nîmois et ami d’AL

[1La référence aux origines pro-fascistes du PP : post-franquiste et issu d’Allianza popular il fut longtemps dirigé par Manuel Fraga Iribarne, ancien ministre de Franco et Président de la Galice. Aznar encore étudiant glorifiait le régime et n’a jamais caché ses sympathies pour la Phalange. Tout comme son successeur Rajoy d’ailleurs.

[2« Y es que España va muy bien, va muy bien para los de siempre : para el banquero, para el alcalde y para nuestro presidente. »

 
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