Dossier prostitution : Alternative libertaire : Pour l’émancipation sociale




Lors de son VIIIe congrès, à Agen, en 2006, Alternative libertaire a adopté une position abolitionniste, venant ainsi compléter les deux motions antipatriarcat élaborées par l’organisation (Angers, 2004 ; Agen, 2006).

En actant cela, AL se positionne contre la prostitution, à l’instar des principales structures féministes (Marche mondiale des femmes, Collectif national droit des femmes), de plusieurs organisations politiques de gauche ou d’extrême gauche, telles que les Alternatifs, le NPA ou le PCF, mais aussi d’autres courants libertaires comme le montre l’ouvrage collectif rédigé par des militantes de la Fédération anarchiste, Anarchistes contre le système prostitutionnel.

C’est dans les partis les plus à droite que l’on retrouve les positions les plus proches du réglementarisme. C’est le cas du Front national ou de Christine Boutin qui se montrent favorables à la réouverture des maisons closes. C’est au sein du parti politique ultralibéral Alternative libérale que l’on trouve les positions les plus favorables à la reconnaissance de la prostitution comme un travail et une activité économique librement assumée.

Malgré le confusionnisme que tendent à entretenir les pro-prostitution, on voit donc que la ligne de partage oppose principalement les organisations qui font une lecture libérale de la prostitution et celles qui en font une lecture antipatriarcale.

C’est clairement dans ce second camp qu’entend se situer AL.


[…] Pour nous, la prostitution ce n’est pas :

 de la sexualité au sens plein du terme pour les femmes et les hommes qui s’y soumettent mais le moyen de gagner de quoi (sur)vivre ;
 le combat contre la morale judéo-chrétienne et pour la liberté sexuelle mais le renforcement de la distinction entre « la femme bien » (la mère) sans désir sexuel, et la putain ;
 la liberté, mais un choix forcé pour les femmes et les hommes qui veulent en sortir, pour celles et ceux qui auraient aimé ne pas y entrer, pour celles et ceuxqui n’ont pas d’autres façons d’échapper à la misère, pour celles et ceux qui sont soumis-es à l’esclavage des proxénètes. Combien parmi celles et ceux qui disent faire ce métier librement et l’aimer sont payé-e-s pour le dire, ou menacé-e-s ?
 un métier comme les autres puisque jouir de quelqu’un n’est pas jouir du travail de quelqu’un ;
 une activité compatible avec notre projet de société. Si nous entendons les prostitué-e-s qui affirment leur libre choix et leur volonté de faire ce « travail », nous pensons qu’acheter des relations est incompatible avec une société d’égalité et de liberté.

Pour nous, la prostitution c’est :

 une des formes extrêmes de l’oppression sexuelle des hommes sur les femmes. Elle est une des manifestations de l’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, et de certains hommes alors assimilés aux femmes. Cette oppression se fonde aussi sur l’ignorance imposée aux femmes de leurs corps et de leur plaisir (à travers en particulier les livres d’éducation sexuelle pour les enfants et les adolescent-e-s où n’apparaît pas toujours le mot « clitoris »), sur l’image de la sexualité donnée par la pub, la pornographie ou les multiples revues pour hommes (les femmes sont disponibles, consommables, pour un rapport sexuel destiné au plaisir des hommes), sur son affirmation dans les médias, les discours, les affiches, l’éducation, sur le rejet ou la dévalorisation de l’homosexualité. Partout, qu’il n’y a qu’un type de rapports sexuels légitime : le rapport hétéro-sexuel dominant-dominée ;
 la tolérance grivoise envers les clients, voire la complaisance, et le mépris envers les prostituées ;
 un rapport d’oppression économique entre les hommes riches et les femmes pauvres comme dans le tourisme sexuel, entre les hommes qui peuvent se les payer et les femmes qui ont besoin de gagner de l’argent, l’étape ultime de la marchandisation du corps des femmes.
Parce que nous ne voulons pas d’un monde où les femmes ou les hommes font les gestes de l’amour et/ou du désir et du plaisir pour gagner de quoi vivre, parce que nous ne sommes pas concerné-e-s par la morale mais bien par le droit à la dignité et à l’égalité, parce que nous voulons une liberté sexuelle réelle pour tous et toutes, nous sommes abolitionnistes.

Et supprimer la prostitution dans la société d’aujourd’hui passe par les moyens de la lutte contre l’oppression des femmes par les hommes et par des moyens spécifiques :

En matière d’éducation :

 l’information des femmes sur leurs corps, leur plaisir, leur droit inaliénable de dire « non », et leur droit de dire « oui » aux relations sexuelles librement consenties ;
 l’information, l’éducation des hommes sur l’oppression sexuelle, sur la réalité de la prostitution ;
 l’information, l’éducation de tous et toutes pour rendre la prostitution aussi inacceptable humainement que l’esclavage ou l’inceste.

En matière de droits des personnes :

 l’accès des prostitué-e-s comme de toute personne à la protection sociale : accès à la CMU, aux mutuelles complémentaires, à la retraite….
 la suppression de l’impôt sur les revenus non commerciaux qui les frappe ;
 l’application des dispositifs et le renforcement des moyens concernant la protection et l’accueil des mineur-e-s et des jeunes majeur-e-s ;
 le combat contre le sexisme dans la pub (combat contre la pub ?) et dans les médias, que les stéréotypes véhiculés soient la faiblesse et la soumission des femmes ou la virilité conquérante et la violence des hommes.

Par rapport aux autres personnes concernées :

 parler des clients, sans qui la prostitution et le proxénétisme n’existeraient pas ;
 identifier les raisons de leur consommation de prostitué-e-s pour lutter contre cette consommation ;
 une réelle volonté politique de lutter contre le proxénétisme et les mouvements d’argent liés à cette activité et favorisés par la mondialisation capitaliste et sa libéralisation des transferts de capitaux, et le renforcement des moyens attribués à cette lutte.

Pour permettre aux femmes de sortir de la prostitution :

 l’offre aux prostitué-e-s de structures et de moyens leur permettant de se poser-reposer ;
 l’offre de formations qualifiantes, librement choisies ;
 la régularisation immédiate des prostitué-e-s étrangèr-e-s, avec prise en charge d’une protection, internationale et nationale, pour elles/eux et leurs familles ;
 l’offre aux prostitué-e-s d’un revenu de substitution entre la prostitution et un travail ;
 des campagnes d’information auprès des prostitué-e-s pour les informer sur ces moyens offerts.

Nous défendrons ces moyens dans toutes les luttes et en particulier dans les luttes féministes. Nous ne participerons pas aux luttes revendiquant des droits attachés au « métier » ou au statut de prostitué-e-s, mais avec les prostitué-e-s aux luttes universelles qui les concernent aussi (lutte pour les droits sociaux universels, lutte contre les lois sécuritaires).

Congrès d’Agen d’AL (2006)


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