Entretien

Sissoko Anzoumane : « Travailleurs, précaires, sans-papiers : même combat »




Le ministère de la Régularisation de tous les sans-papiers a organisé une marche à pied Paris-Nice pour s’inviter au sommet France-Afrique qui s’est tenu le 31 mai à Nice. Sissoko Anzoumane, porte-parole du ministère, témoigne du tournant politique que constitue ce mouvement.

Alternative libertaire : Quel bilan peut-on tirer de la marche Paris-Nice des sans-papiers ?

Anzoumane Sissoko : Un sommet attendait à Nice des chefs d’État africains. L’idée était de donner une visibilité à notre mouvement. J’ai été surpris par l’accueil exceptionnel des français, syndicats, associations et partis politiques. La marche a été un mouvement autonome et très sympathique aux yeux des communes que nous avons traversées. Il y a eu une extraordinaire fraternité tout au long de cette aventure. Il nous paraissait impossible que les chefs d’État africains refusent de nous rencontrer mais c’est bien sûr l’État français qui a pris la responsabilité de le faire.

Lors de la conférence de presse du sommet, la question a été posée à Nicolas Sarkozy de savoir ce qu’il en était du problème de la régularisation des sans-papiers et il a répondu que le sujet n’avait pas été abordé. Mais la marche n’est évidemment pas passée inaperçue. Elle a réuni au sein des collectifs jusqu’à trente organisations qui restent à présent en contact étroit avec nous. Une expérience qu’il faut travailler pour créer une unité au niveau national.

La marche des sans-papiers est-elle un tournant politique pour le ministère de la régularisation ?

Anzoumane Sissoko : La lutte du ministère de la Régularisation est une lutte très clairement politique. Quand on voit une marche aussi exceptionnelle et aucun media national qui en parle, c’est un signe que c’est une lutte politique qui dépasse le cadre des sans-papiers. Les plus grosses manifestations étaient dans des villes de droite : Vitrolles et Nice. Comme la marche était sympathique et pacifique, on a réussi à mettre une telle ambiance que même nos adversaires politiques en vinrent à sympathiser avec nous. C’est un tournant pour Baudelique et pour la lutte des sans-papiers en France.

À Sens, j’ai rencontré une femme et j’ai dû lui expliquer que nous, sans-papiers, étions des travailleurs qui cotisons et payons des impôts, et cela sans aucune contrepartie : nous ne sommes pas reconnus comme des citoyens, nous n’avons pas droit aux allocations chômage, etc. Cette personne n’avait jamais voté à gauche de toute sa vie mais elle n’avait jamais vraiment compris ce qu’était un sans-papier. C’est une désinformation permanente que le gouvernement a mis en place et entretient à travers les médias, télévisuels entre autre. A travers cette marche, je pense que beaucoup de gens ont compris. Il est temps pour nous et pour tous les militants de gauche d’exploiter ça. Il faut qu’on utilise cette aventure incroyable pour se faire entendre.

La lutte du ministère de la Régularisation est donc intimement liée à celle des travailleurs en générale ?

Anzoumane Sissoko : La lutte a besoin d’unité. C’est ce que je disais à des militants de Survie à Nice quand ils nous ont demandé de parler de notre slogan. Ça fait 10 ans que je suis dans le mouvement des sans-papiers, et je n’ai jamais raté aucune manifestation des précaires. Je ne dis pas sans-papiers, je dis précaires, je ne fais pas de différences entre ces luttes. C’est ensemble qu’on peut porter certaines revendications. On n’a pas la force aujourd’hui, isolés comme nous le sommes, de porter le discours critique de la colonisation, du développement autonome de l’Afrique… Ce que Survie fait est exceptionnel. Nous n’avons pas à porter ce message même si bien évidemment nous sommes d’accord avec eux. En revanche nous sommes sans papiers et nous devons porter nos revendications.

Maintenant pour que toutes ces revendications soient entendues, nous devons travailler tous ensemble. Sans-papiers, syndicats, organisations politiques… L’ensemble de toutes ces luttes conjuguées soulèvent une force qui peut permettre de se faire entendre du gouvernement. Si chacun agit dans son coin, ça n’avancera pas. Nous sommes de toutes les manifestations mais lorsqu’il s’agit d’une manifestation à nous, on ne voit personne. Ca ne nous décourage jamais, mais tous doivent comprendre que s’ils veulent être entendus, ils doivent être à nos cotés.

Le ministère de la Régularisation est aujourd’hui menacé d’expulsion…

Anzoumane Sissoko : L’élan de sympathie et de popularité que la marche a provoqué pose problème au gouvernement. On est en train de faire un press-book avec les quelques articles que différents journaux locaux ont fait sur nous. Avec ce press-book, on ira interpeller les medias nationaux en leur demandant pourquoi eux, se sont tus. La marche a donné une certaine visibilité au mouvement qui pose problème à Sarkozy et qui leur impose de se taire.

Maintenant le gouvernement est prêt à tout pour nous expulser [1]. Juridiquement, en dix mois de procès, la Cpam a obtenu, le 28 mai 2010, l’expulsion de 2 personnes sur 3000 : les soi-disant chefs... Le juge et l’avocat de la Cpam n’ont pas compris que nous ne sommes pas une association ou un parti politique. Je suis juste le porte-parole d’un mouvement, d’un collectif, je ne suis chef de personne. Donc juridiquement, c’est un autre cycle de jugement qui doit en principe débuter. Mais ils sont maintenant prêts à tout pour se débarrasser de nous, jusqu’à utiliser la force, quitte à violer les lois, car le Ministère de la régularisation dérange. La préfecture nous a clairement dit qu’il y avait un projet de réhabilitation comprenant des crèches, des personnes âgées. Ils utilisent ces thématiques sociales pour nous mettre en conflit avec les gens du quartier.

La marche a réuni des collectifs qui comprenaient presque partout des militants CGT, peut-on y voir le début d’une réconciliation ?

Anzoumane Sissoko : Les camarades de la CGT dans les collectifs de province nous ont beaucoup aidé, ont soutenu la marche des sans-papiers et sont d’accord avec nos revendications. Ce n’est pas la CGT qui pose problème, ce sont quelques personnes au sein de la CGT. L’unité entre nos revendications et celles de la CGT est évidemment possible. Les Unions locales et la direction nationale ne sont pas les mêmes.

Je suis à la CGT depuis 2000. Quand les premières vagues de grèves et d’occupations ont commencé, on a voulu soutenir les travailleurs isolés, qui n’avaient pas la possibilité de rejoindre les luttes mais qui les soutenaient. Certains militants ont refusé qu’on rejoigne certains piquets. On a voulu que ces travailleurs puissent être soutenus dans leurs demandes de régularisation et là aussi, ça n’a pas été possible. On s’est senti trahis, mis à l’écart. Alors qu’on avait participé à toutes les luttes, qu’on grossissait les rangs des manifestations, on s’est trouvé devant une dérive de type immigration choisie. C’était jouer le jeu de la politique de Sarkozy : certaines pratiques au sein de la CGT opéraient une différence entre les gens. Alors on a décidé d’occuper la bourse du travail.

Certains militants ont continué à refuser de prendre en compte les travailleurs isolés, ont toujours refusé que ces derniers viennent soutenir les piquets de grève et ont refusé de soutenir leur demande de régularisation. Ensuite, je suis allé voir la CGT pour que nous organisions la marche ensemble. A chaque fois les rendez-vous ont été sabotés, on leur a envoyé des courriers qu’ils ont toujours ignorés.

Propos recueillis par François (AL Paris-Nord-Est)

[1Le ministère de la régularisation occupe actuellement un ancien bâtiment désaffecté de la Cpam au 14 rue Baudelique dans le dix-huitième arrondissement de Paris.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut